Ilithas chancela, comme frappé par le plus dur des fers. Un fossé s'était créé entre lui et l'archimage Galliomar dès qu'il avait préféré la voie des armes à l'étude de la magie, trahissant ainsi la tradition familiale d'excellence arcanique. Il n'avait même pas osé reparaitre devant son père depuis sa transformation, craignant de lire sur son visage le dégoût que lui inspirerait sa propre existence. Mais il avait toujours espéré avoir une chance de le revoir, ne serait ce qu'une dernière foi. Sa disparition creusait un nouveau sillon dans le coeur déjà couturé de cicatrices d'Ilithas et il se retint contre un mur alors que les contours du couloir vacillaient sous ses yeux. Une unique larme rouge coula le long de sa joue pour venir s'écraser au sol blanc jusque là immaculé.
"Comment, hoqueta t-il, comment est il mort ?"
Ivrael semblait hésiter à répondre, un bras levé comme pour réconforter son ancien maitre mais n'osant pas troubler sa peine.
"Dans son sommeil, finit-il par répondre, le temps à finit par le rattraper. On m'a assuré qu'il n'avait pas souffert."
Une maigre consolation. Mais qui devrait suffire pour l'heure. Au prit d'un effort de volonté, Ilithas se redressa en passant une main sur ses yeux. "Et mère , demanda t-il en tentant d'empêcher sa voix de trembler. Comment a t-elle prit sa mort ?"
"Inconsolable pour un temps. J'ai appris que vos soeurs l'ont aidée durant les heures les plus sombres de son deuil."
"Bien. Je...sortons. J'ai besoin d'air frais."
"Venez Ilithas."
Passant le bras du vampire sur ses épaules, le maitre d'arme le soutint tout en le conduisant au grès des interminables corridors. Ilithas se laissait conduire, ses pensées dérivants au grès de sa mélancolie. Sans qu'il sache comment, ils se retrouvèrent sur la grande place, par laquelle il avait pénétré le palais. Les Lions Blancs avaient disparus, et le lieu était désormais bondé, des elfes de toutes les nations allant et venant en un ballet chamarré de soie et de bijoux. Instinctivement, Ilithas détourna le visage du soleil qui frôlait désormais l'horizon. C'était devenu naturel pour lui, de toujours se déplacer en prenant garde de conserver son visage dans l'ombre de son capuchon, l'un de ses automatismes que l'on acquiert après trois siècles passés à se cacher de la lumière d'Asuryan. Son regard se promena sur l'esplanade bondée, puis balaya la cité en contrebas. Envers et contre tout, la vie continuait. Elle trouvait toujours un moyen. Du coin de l'oeil, il remarqua qu'Ivrael l'observait d'un air soucieux. Il le rassura d'un faible sourire et dégagea son bras.
"Merci Ivrael. Un simple moment de faiblesse, nous passons tous par là."
"Je suis vraiment navré de vous avoir appris la chose ainsi Ilithas, je pensais que vous saviez..."
"Je le sais maintenant. Mais je pleurerai sa mort plus tard. Allons, il me faut retrouver mes compagnons, viendra tu avec moi ?"
"Bien sur jeune maitre, sourit le vieil elfe, maintenant que j'ai réussit à vous remettre la main dessus, vous pouvez être certain que je ne vous lâcherai plus d'un pas."
Ilithas rit faiblement, reconnaissant envers les tentatives de son ami pour chasser les dernières ombres qui pesaient sur son esprit.
"Alors viens, un domestique devrait nous attendre aux grandes portes pour nous conduire à eux."
Les deux elfes se mirent en route, fendant la foule en direction des portes étincelantes séparant Ulthuan du monde extérieur, armure étincelante et cape sombre cheminant côte à côte. Des bas quartiers où résidaient les visiteurs, et malgré la distance, Ilithas percevait la rumeur d'une ville sur le point de s'éveiller à la nuit. Lothern ne dormait jamais. Alors qu'il marchait, une odeur le frappa soudain. Un souvenir vieux de trois siècles ressurgit des tréfonds de sa mémoire alors qu'un noble à l'âge respectable passait à côté de lui en jetant un regard interloqué à cet elfe vêtu de noir et au visage dissimulé par une capuche. Se retournant tout à coup, Ilithas croisa le regard du noble qui s'arrêta net, le fixant en retour alors que l'incrédulité déformait ses traits. Il était vétu d'une longue toge bordeaux et rehaussée de bleu. Ses traits patriciens étaient encadrés par de longs cheveux noirs qui tombaient dans son dos selon une coupe impeccable. Il continua de fixer Ilithas pendant de longues secondes alors que le vampire faisait un pas vers lui.
"Seigneur Jalessian ?" S'étonna Ilithas, aussi incrédule que l'autre qui sembla finir par admettre qui se tenait devant lui.
"Alenör.." Sa voix n'était qu'un murmure, aussi aride que les déserts de Kehmri.
Les yeux du noble se rétrécirent pour ne plus former qu'une ligne blanche de dégout alors que son visage se tordait dans une grimace de haine.
"Nosritrel !" Cracha t-il en reculant d'un pas en chancelant soudain, comme si la simple présence d'Ilithas le frappait plus durement que n'importe quel coup.
"On me l'avait dit mais je refusais d'y croire. Comment osez vous ? Où avez vous trouvé l'audace de ne serait ce qu'envisager reposer le pied en Eataine ? Comment osez vous ?!"
Il avait presque hurlé ces derniers mots, se rapprochant cette fois d'Ilithas à chaque syllabe, sa main descendant lentement vers son épée en commençant à la tirer de son fourreau.
Devant l'ire du noble, Ilithas reculait doucement, levant les bras en signe d'apaisement. Si l'autre le remarqua, il n'en montra rien, tout à sa rage.
"N'avez vous pas causé assez de mal comme cela maudit ? Il fallait donc que vous reveniez nous tourmenter ?!" Le noble s'était approché si prêt qu'Ilithas avait replié ses bras, craignant qu'un simple contact ne fasse exploser de colère l'elfe. La silhouette autoritaire d'Ivrael s'interposa soudain, la main sur la garde de l'épée qui dépassait de ses épaules. Soudain, Ilithas ne vit plus en lui un vieil ami mais le Maitre des Epées qu'il avait toujours été. Face à ce nouvel arrivant, Jalessian s'arrêta net, jetant un regard irrité au maitre d'arme impassible avant de rediriger sa colère contre le vampire, interdit.
"S'il vous reste une parcelle d'honneur Alenör, vous allez jurer de ne jamais plus repasser les portes de mon domaine ! Sans quoi je jure sur les dieux que j'aurai votre tête."
Une flambée de colère contre cet elfe qui l'appelait autrefois ami faillit emporter Ilithas. Retenant les paroles malheureuses qui se pressaient à ses lèvres, il dit simplement : "Par Asuryan je le jure seigneur Jalessian."
A ses mots, l'elfe sembla se calmer légèrement, son épée redescendit le long de son fourreau alors que ses poings restaient serrés si forts que les tendons saillaient, et en réponse Ivrael se décontracta.
Pensant tenir sa chance, Ilithas posa la question qui lui brûlait les lèvres.
"Comment se porte votre fille ?"
Avoir passé tant de temps parmi les humains lui avaient fait oublier la rapidité des fils d'Asuryan. Le coup fut rapide. S'il avait été plus alerte, l'éviter aurait été aisé mais le vampire fut totalement prit par surprise lorsque le poing du noble s'écrasa contre sa joue. La force du coup rejeta le visage du vampire sur le côté et sa capuche fut brutalement arrachée de sa tête. Immédiatement, sa peau de mit à noircir et le vampire laissa échapper un long cri de souffrance alors que son visage tout entier semblait se calciner à vue d'oeil. Se repliant sur lui même sous la douleur, Ilithas se cacha des rayons du soleil en se recroquevillant au sol. Par delà les brumes de sa souffrance, il perçut plus qu'il ne vit Ivrael dégainer sa grande lame pour tenir le Jalessian en respect.
"N'osez plus jamais parler d'elle en ma présence, fit la voix méprisante du noble. Il sembla hésiter un instant avant de se détourner. "Aelia est fiancée au premier né de la maison Eldreth. N'essayez pas de la revoir."
Malgré la douleur qui irradiait chaque parcelle de peau de son visage comme si mille aiguilles chauffées à blanc s'enfonçaient dans son crâne, ces mots firent plus mal à Ilithas que tout ce qu'il avait jamais enduré. Les bruits de pas de noble s'éloignèrent alors que la foule qui avait fait halte autours d'eux se remettait elle aussi en marche. Une main se posa sur l'épaule du vampire secoué de tremblements, encore prostré à terre, et replaça sa capuche sur son front.
"Allons, fit la voix douce d'Ivrael, relevez vous."