Aujourd'hui

Aujourd'hui, je fus convoqué chez le Seigneur. Ma famille était obéissante et soumise à ses lois, et je ne pouvais m'exprimer. Le héraut nous informa que nulle nourriture ne nous sera fournie, aussi nous prîmes quelques galettes de pain pour le voyage. Ma mère m'assura qu'il s'agissait d'un honneur, je n'y voyais qu'un empêchement pour la récolte. Aujourd'hui, nous partîmes voir le maître de notre terroir. J'avais cinq ans.

Aujourd'hui fut le dernier jour où je vis mon village.

Le seigneur vivait haut, haut dans les montagnes, dans une forteresse de bric et de broc, toute grise et noire. Les murs étaient surmontés de canons et une armée s'entraînait sous leur couvert. Je ne comprenais pas pourquoi on voulait défendre cette place. Les plaines étaient plus spacieuses et le blé y poussait. Aujourd'hui, le seigneur attendait après une grande volée de marches. Ma mère trébucha sur celles-ci. Elle était de nouveau à leurs pieds, mais elle ne se releva pas.

Aujourd'hui, j'avais perdu ma mère.

Je rencontrai celui qui m'avait convoqué. Il ne me parla pas. Il congédia mon père. Il appela un prêtre. Si je devais rencontrer un prêtre, celui de mon village convenait tout aussi bien, pensai-je. Mais le prêtre qui venait était différent. Il était tout en couleurs, et ses cheveux montaient haut sur son crâne. Je crois qu'il s'appelait Archimandie. On me demanda de m'agenouiller. Ma mère était en bas, mon père dans une pièce à côté. Je m'acquittai, par habitude.

Aujourd'hui, Archimandie me fit venir dans une chapelle, hors du château. Sur le chemin, je vis ma mère dans une civière. Sa tête était curieusement tournée, du sang sortait de sa bouche. Le prêtre m'invita à prier. Je le fis, car je sentis qu'il y avait une raison à cela. C'était la première fois que l'on me proposai de faire quelque chose sans me l'ordonner. Et ce jour-là, je ne connaissais pas la valeur de ce droit.

La chapelle était colorée, tout comme le prêtre. Ils allaient bien ensemble. Tout comme la chapelle et le prêtre de chez moi. C'était peu de choses, mais je me sentis chez moi. Archimandie me fit rentrer rapidement, cependant. Il se dirigea vers une porte, l'ouvrit et m'intima d'attendre devant le portrait. Je priai, comme on me l'avait apprit. Il ressortit avec dans ses mains ce que je pris pour une idole. Mais l'idole était noire, et représentait un visage peint en rouge. Les yeux n'avaient pas de pupille, et la face n'avait pas de bouche.

Aujourd'hui, le prêtre m'apprit que j'étais un des Élus, un « Trou Noir », si j'avais bien compris. Et qu'un jour viendra où les Servants viendront me chercher pour m'emmener aux côtés de Dieu. Et qu'en attendant ce jour, je devais rester en sécurité au château, sous la protection de Dieu. Il me fit boire à la lampée d'un calice, et ma vision commença à devenir floue. Le prêtre sourit, me souleva et me déposa dans une couverture noire. La couverture était dans une civière, la civière était entourée de deux autres. Chacune contenait un être humain.

Aujourd'hui fut le dernier jour où je vis ma famille.


[à suivre]