Les Flammes de la Guerre
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Les Flammes de la Guerre

C'est une époque sombre et sanglante, une époque de démons et de sorcellerie, une époque de batailles et de mort. C'est la Fin des Temps.
 
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 Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir

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MessageSujet: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime30/11/2011, 21:41






PARTIE I

L'ENFANT DE LA HAINE















Dernière édition par Arduilanar le 4/1/2012, 20:10, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime30/11/2011, 21:42

Prologue



Hlaren marchait dans la brume matinale, le regard perdu dans le lointain. Où allait-il ? Il l'ignorait, et peu lui importait.
Karan Hautmont était mort ; ses parents étaient vengés. Le sang versé suffisait-il pour autant à le combler ? Il n’avait réussi qu’à priver son existence de son seul but. Alors, pour tromper ce vide, Hlaren avançait, sans but ni espoir, à travers les plaines gelées et les passes rocailleuses, comme pour se convaincre qu'il avait un endroit où se rendre...

Le Dunmer frissonna. Ses lèvres bleuies tremblotaient, le froid s'infiltrait sinueusement sous les peaux de bêtes mitées, engourdissait ses pieds, ses jambes, remontaient dans ses bras et ses cuisses. L'inutile épée était accrochée dans son paquetage ; ce n'était pas le contact du métal glacé qui allait le réchauffer.
Les pas se faisaient lents, pesants. Il n'avait rien mangé depuis trois jours. Poser le pied sur le sol lui devenait de plus en plus douloureux.
Quel intérêt ? Pourquoi continuer encore ? Plus rien n’avait de sens, de toute façon. Personne ne l’attendait nulle part. Il lui suffisait de s’étendre sur la neige, de laisser le froid gagner ses membres, le paralyser doucement, embrumer son esprit jusqu'à lui accorder un éternel repos…

Le cri retentit, pur et terrible, déchirant la brume. Un cri de détresse et de désespoir. Hlaren redressa la tête. Quelqu’un, quelque part, appelait au secours. N’était-ce pas un signe ?
Oui, ce ne pouvait être qu’un signe ; car, au même moment, les nuées se dispersèrent, le soleil éclata, et en un éclair, le manteau neigeux parut submergé sous la déferlante lumineuse.
Hlaren cligna des yeux, aveuglé. Droit devant lui se dressait un village ; un amas de chaumières, dont les cheminées de pierre lançaient vers le ciel vif des panaches de fumée ; et des silhouettes, des silhouettes massives qui se mouvaient dans l’ombre. Ils étaient deux. Hlaren pouvait voir leurs chevelures blondes tressées, leurs tatouages de Nordiques... et le dragon. Le dragon rouge sur leur bras. Et la jeune femme, accolée au mur, son corps frêle dominé par la carrure imposante de l'homme qui la maintenait plaquée.
Hlaren dégaina sa lame dans un flamboiement doré et dévala la pente en hurlant, brûlant de rage.


La jeune femme s’était laissé glisser sur le sol, la respiration rauque, frissonnant encore de répulsion. Hlaren, haletant, osa à peine lui toucher l’épaule :
«- Je… vous allez bien ? Que… comment vous appelez-vous ?
- Rayna… Hlalec. »
Elle fondit en larmes, en gros sanglots entrecoupés de hoquets, comme pour exorciser l’horreur de ce qu’elle venait de subir, pour chasser jusqu’à l’insupportable idée de ce qu’il lui aurait été fait si ses agresseurs n’avaient pas fui. Le jeune homme se pencha maladroitement vers elle, voulut la réconforter, mais ne sut comment s’y prendre.
« - Ils ne reviendront plus », lui chuchota-t'il. « Ni eux ni aucun autre. Je vous en fais la promesse.
- Ces chiens... » Elle tourna vers lui ses yeux rouges embués de larmes. «Ils me le paieront, oui !»

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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime30/11/2011, 21:43

Chapitre 1



Hlaren Arundys fixait le ciel, en cette claire nuit de Soirétoile. Le tracé complexe des constellations, les arabesques scintillantes sur le dais de velours noir semblaient presque l’appeler. Le Voleur brillait, tel qu’il se devait en cette saison. Le Dunmer pouvait même distinguer Arkay, et son halo verdâtre. Pourtant sa lueur était étrangement faible, comme parasitée, aspirée par quelque corps étranger. Hlaren balaya le dôme étoilé de ses yeux rouges, comme s’il recherchait une explication.
Ce n’est qu’alors qu’il la remarqua. La Constellation du Serpent le fixait, éclipsant toutes les étoiles proches, vampirisant leur lumière pour mieux les écraser de sa propre lueur, rouge et maléfique. Tel un monstrueux prédateur astral, elle se nourrissait des autres amas stellaires, absorbant leur énergie, leur force, jusqu’à s’en enfler démesurément, malgré les constellations gardiennes. C’était elle qui l’appelait, elle qui l’attirait irrésistiblement depuis les immensités cosmiques, susurrant son nom. Arundys…
Hlaren baissa le regard vers son épée. Encore baignée du sang de ses ennemis, la lame dwemer avait dessiné sur le sol immaculé des trainées carmin, morbide reflet du firmament. Quel mystérieux présage…

Il s’arracha enfin à la domination de la constellation d’anti-étoiles ; il se souvint où il était, pourquoi il y était. Il était tombé sur une embuscade, alors qu’il cheminait de Fortdhiver à Vendeaume. Trois Nordiques avaient lancé l’assaut, surgissant d’un taillis. De vulgaires détrousseurs auraient fui devant un adversaire de cette envergure ; mais eux étaient là pour lui. Quel gâchis, pensa-t’il en regardant les cadavres qui l’entouraient.
Une brise s’était levée, et les corps commençaient déjà à se couvrir d’une fine pellicule de givre. Leurs visages souillés de sang resteraient à jamais figés dans l’expression du combat, les traits tirés par la colère, les yeux vidés de leur expression. Le plus âgé portait un brassard de jute au bras droit ; Hlaren le lui retira. Evidemment. Le dragon rouge. Leur organisation du Rauddreka avait beau avoir été démantelée cinq ans plus tôt, les rescapés exprimaient toujours le même farouche désir de vengeance. Mais les deux autres… Les deux autres étaient si jeunes. A peine une vingtaine d’années, encore moins que lui-même lorsque ses parents avaient été tués. Et surtout, ils n’étaient ni l’un ni l’autre tatoués du fameux dragon.
Qui étaient-ils, alors ? Des enfants élevés dans le respect du Rauddreka, voués à l’intégrer à leur tour s’il n’avait été dissolu ? Ou simplement des hommes de passage, des rencontres de taverne que l’on avait convaincus d’aller tuer un « peau-grise » contre un peu d’argent et le sentiment de faire un bon geste pour Bordeciel ? Trois vies gaspillées, trois hommes qui avaient perdu leur vie pour une cause stérile, une haine vaine. Quand cela cesserait-il ?
Hlaren regarda à nouveau sa lame. Il ramassa une poignée de neige et en frotta la lame, comme si par ce geste futile il pouvait effacer ce qui avait été fait. Puis il effaça du pied les constellations sanglantes – mais, depuis le ciel, le Serpent continuait de le fixer.

« Hlaren ! »
Il se retourna. Rayna marchait vers lui, emmitouflée dans un épais manteau, progressant avec peine dans l’épaisse couche neigeuse. Il sourit. Sa seule vue, près de vingt-cinq ans après leur rencontre, suffisait encore à le réconforter, à lui faire oublier le sang qu’il avait fait couler aussi bien que l’emprise des constellations maudites. Sa présence était si rassurante, presque maternelle bien qu’ils n’aient qu’une dizaine d’années d’écart. Mais ce n’était pas comme une mère qu’il l’aimait ; et quand il voyait ses longs cheveux à peine ondulés caressés par le vent, ou quand il devinait ses courbes sous les épaisses couches de fourrure, son cœur continuait de s’embraser.
Hlaren rangea son épée et enjamba les corps.
« Hlaren… »
Ce fut plus un soupir, cette fois-ci, le soulagement pour Rayna de retrouver l’homme qu’elle aimait et de se sentir entourée de ses bras chauds. Ils restèrent ainsi enlacés, debout dans le vent, leurs respirations jointes dessinant dans l’air froid de fugaces nuées. Aucun d’entre eux n’aurait souhaité brisé le silence, désirant que cet instant dure toujours, que le temps se fige pour qu’ils ne soient jamais plus séparés.
Mais Rayna n’avait fait tout ce chemin sans raison. Aussi, après d’interminables minutes, et trop courtes pourtant, elle se résolut à prendre la parole, brisant ainsi le charme.
« J’ai… quelque chose d’important à te dire. »
Hlaren desserra doucement son étreinte et recula d’un pas.
« Faves m’a dit que tu devais repasser par Vendeaume, mais tu n’arrivais pas et je me suis fait du souci. Qui étaient ces hommes ? J’ai entendu les cris d’un combat au loin, et je te retrouve entouré de cadavres.
- Un homme du Dragon Rouge, répondit-il finalement. Et deux compagnons plus jeunes. Ils m’ont sauté dessus et j’ai été obligé de me défendre. J’ignore qui ils sont, mais ils en avaient certainement après moi. »
Rayna le scruta, sourcils froncés.
« - Mais tu n’as rien, n’est-ce pas ? Tu es tâché de sang.
- Ce n’est pas le mien. »
Hlaren garda le silence un instant.
« Viens, finit-il par reprendre. Nous ferions mieux de ne pas rester ici. »

Ils s’éloignèrent sans un mot du lieu du combat, serrés l’un contre l’autre pour se protéger au mieux de la bise qui se faisait acérée. Ils auraient pu donner l’impression qu’ils effectuaient encore une de leurs premières missions, côte à côte comme au temps de leur jeunesse. Quelque chose, cependant, avait imperceptiblement changé. Sur le coup, Hlaren fut incapable de se l’expliquer. Ce n’était pas une froideur, ni tout à fait une gêne ; Rayna était à la fois plus proche et plus distante, inquiète et heureuse – la modification était à peine sensible, mais de longues années à ses côtés lui avaient appris à la connaître mieux que quiconque. Tout cela n’avait-il pas un lien avec le motif de sa venue ?
Quand il estima qu’ils s’étaient suffisamment éloignés des corps, Hlaren lui demanda :
« - N’avais-tu pas quelque chose à me dire ?
- Si, lui répondit Rayna après une profonde respiration. J’attends un enfant. »
Hlaren se tourna vers elle. C’était donc cela…
Il aurait dû y penser plus tôt. Il savait que ce jour viendrait, il l’avait même souvent espéré, mais il ne s’y attendait finalement pas. Comme tous ceux de leur race, leur longue durée de vie était accompagnée d’une fertilité très réduite ; malgré cela, et bien que leurs vies de combattants les aient empêchés de se voir aussi souvent qu’ils l’auraient souhaité, il n’y avait rien d’étonnant à ce que Rayna tombe enceinte après tant d’années. Peut-être pourtant le moment n’était-il pas le plus propice à cet évènement.
« - Tu restes songeur, remarqua Rayna mi-aigrie mi-amusée. Est-ce que cela te surprend à ce point ? Ou bien réfléchis-tu à comment tu vas tourner ta réplique ?
- Ni l’un ni l’autre. Je me disais… et bien, que ça explique des choses. Et je ne sais pas non plus comment réagir. Dieux ! » Il rit. « Je savais pourtant que ce jour arriverait, mais je n’arrive pas à savoir si je dois hurler de joie ou pleurer. Peut-être un peu des deux. Un enfant… un enfant est la plus belle chose qui puisse nous arriver. Et pourtant ! Je sens que cela risque de nous attirer bien des problèmes.
- Nous ?, demanda-t’elle en ne riant qu’à moitié. Je suis aussi heureuse que toi, mais tu dois quand même être au courant que les risques, c’est moi qui les encours. Et ce n’est pas de grossesse ou d’accouchement que je te parle.
- Tu t’inquiètes vis-à-vis de la maison Redoran, n’est-ce pas ?, demanda Hlaren redevenu sérieux.
- Bien sûr, mais pas seulement. Je ne suis pas comme toi, libre de toute attache et de toute contrainte. Je me suis éloignée du giron de la Grande Maison, mais officiellement je suis toujours un de ses agents, et je doute qu’ils apprécieront la nouvelle.
- Et j’imagine, évidemment, qu’il est absolument exclu que tu puisses t’en détacher, ne serait-ce que provisoirement.
- Edril, voyons… Nous vivons ensemble depuis vingt-quatre ans, tu sais comment se passent les choses. Je peux leur annoncer mon départ, bien sûr, je peux même me contenter de disparaître dans la nature sans donner de nouvelles. Mais ils ne feront rien pour me simplifier la vie, et surtout, je ne sais pas comment nous allons élever cet enfant. Tu te rends quand même bien compte que la situation n’est pas rêvée ?
- Je le sais, oui. J’ai beau ne pas porter l’enfant en mon sein – il posa la main sur l’épaule de sa compagne – j’ai conscience des difficultés qui s’annoncent. Nous sommes des combattants, oui. Nous œuvrons dans l’ombre, et les joies simples d’une vie tranquille nous ont été refusées le jour où nous avons choisi notre voie. Je ne sais pas non plus comment nous ferons pour l’élever, puis pour lui donner l’éducation qui convient. Faudra-t’il pour cela rentrer à Morrowind ? Aurons-nous à abandonner la mission que nous nous sommes fixés ? Je crois… je crois que les réponses viendront en temps et en heure. C’est tout ce que nous pouvons espérer.
- C’est facile pour toi de dire ça, répondit-elle tristement. Je ne sais pas… je ne sais même pas comment je vais m’y prendre ! Je ne sais pas quel avenir nous aurons à offrir à notre enfant… Bon sang, Hlaren ! Comment veux-tu que nous fassions ? Nous n’avons pas de patrie, nous vivons entourés d’ennemis, sous la menace permanente d’une vengeance, ou de la simple haine des gens de ce pays ! »
Hlaren l’entoura de ses bras avec douceur, apaisant ses larmes.
« - Ne t’inquiète pas tant, fit-il avec tendresse, caressant la joue de Rayna attaquée par le froid. Je ne suis plus l’enfant qui dévalait les collines en courant pour te sauver de tes agresseurs. Je suis devenu un homme depuis longtemps déjà, et j’assumerai toute ma responsabilité. Nous cheminerons ensemble, comme nous l’avons toujours fait, et nous continuerons à nous battre, pour notre enfant et pour notre peuple. Puisse cette naissance donner du sens à notre but ! Et puissent les daedra veiller sur nous. »
Rayna se dégagea et plongea son regard écarlate dans celui de son compagnon.
« - Je savais que je pouvais compter sur toi, Hlaren Arundys. Que les daedra t’entendent ! Et puisse notre enfant suivre une destinée plus aisée que le nôtre. »

Les deux elfes se serrèrent à nouveau, priant muettement pour l’avenir de leur enfant. Le vent continuait de souffler, faisant voler la neige tout autour d’eux ; et, du haut du ciel, le Serpent scintilla avec éclat.

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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime3/12/2011, 22:42

Chapitre 2


Rayna contemplait d’un œil norme le feu, qui crépitait sans grande conviction dans son âtre de pierre. Sa maigre chaleur suffisait à peine pour la petite cabane de bois, malgré les efforts de Rayna pour l’isoler au mieux de la froidure montagneuse – l’hiver était plus rude encore, en altitude, et le printemps s’y faisait parfois attendre jusqu’au mois de Plantaisons.
Cela faisait déjà douze ans qu’elle avait réaménagé ce refuge pour en faire son lieu de vie quotidien. Il avait fallu rendre l’endroit propice à la naissance et à l’éducation d’un enfant : changer le papier huilé des fenêtres, remplacer le chaume du toit et les lattes pourrissantes du parquet, meubler et aménager l’espace réduit. Elle se souvenait des efforts déployés, pour couvrir les murs de tentures et de peaux de bêtes, pour transporter sur les sentiers étroits les quelques fournitures qu’ils avaient pu trouver, pour ramener la nourriture, même, tous les jours depuis la ferme Hlaalu, bien plus en contrebas. Cela les avait fait rire, à l’époque – qu’une femme de la maison Redoran doive son salut et son repas quotidien aux efforts des membres de la maison adverse. Belyn Hlaalu s’était d’ailleurs montré très généreux avec eux, connaissant leurs difficultés, leur lutte et leurs efforts pour les intérêts de tous les Dunmers. Quelle tristesse, songea Rayna en y repensant, qu’il ait fallu attendre que la catastrophe les frappât pour que les Grandes Maisons se montrassent solidaires !
C’était sa propre Maison, d’ailleurs, qui l’avait abandonnée – tout comme elle l’avait pressenti. Le retour à Morrowind lui avait été refusé : en tant qu’agent même passive, elle était dans l’obligation de rester sur le terrain, au cas où ses services seraient à nouveau demandés. Il était de plus en plus difficile pour les elfes noirs de traverser la frontière, surtout dans la direction de Bordeciel ; mais Rayna savait que cela les arrangeait surtout de se débarrasser d’une présence qui aurait pu être incommodante. Malgré ce refus, c’est sur les monts Velothi, près de leur terre ancestrale, que le couple avait choisi de s’installer, pour être au plus proche de la communauté dunmeri d’Estemarche sans pour autant pouvoir s’y mêler ouvertement ; et, peut-être aussi, dans l’espoir qu’un jour la situation serait telle qu’ils pourraient enfin rentrer chez eux, eux et leur enfant.
Mais la situation n’avait pas changé, ou du moins pas en bien. En douze ans, les tensions raciales n’avaient fait que s’exacerber d’avantage ; à l’Ouest, la menace grandissante des Thalmor avait finalement déclenché une guerre, ajoutant aux maux des Dunmers de Bordeciel une nouvelle haine généralisée contre les elfes et une conjecture économique désastreuse. Le Quartier des Neiges de Vendeaume se transformait peu à peu en ghetto, le jarl prenait des mesures de plus en plus discriminatoires, et surtout… Hlaren n’était pas revenu.

« Mère ? Un mot me pose problème pour la traduction. »
Rayna se tourna vers Edril, studieusement penché sur un livre rédigé en écriture daedrique. La bibliothèque hétéroclite était peu fournie, composée pour l’essentiel de manuels d’arme en dunmeri et de traités d’histoire cyrodiliques, ouvrages rebutants que le jeune garçon étudiait pourtant un à un avec soin. Il était déjà si sérieux, songea sa mère en sentant son cœur se gonfler de fierté. Elle-même n’avait jamais eu aucun goût pour la lecture, mais Hlaren avait tenu à faire de son fils un homme éduqué, comme lui-même avait été élevé. Et Edril y mettait tant d’application…
Il ressemblait vraiment à son père, songea Rayna, du moins à ce quoi il avait dû ressembler quand il était enfant. Ils avaient la même peau sombre, presque noire, les mêmes yeux flamboyants à l’iris bordé d’orange ; mais Edril avait la bouche un peu plus pincée, les sourcils plus souvent froncés, et la mine bien trop grave pour un garçon de son âge. La conséquence de vivre avec un père depuis trop longtemps absent, dans un monde qui lui était hostile et dont l’isolement ne suffisait pas à le protéger.

« Mère ! », reprit Edril sur un ton de reproche. « Je ne sais comment il faut comprendre le sens du mot sirtremil, dans cette phrase. Est-ce que cela signifie tremper ou refroidir ? C’est le plus souvent la même opération, mais ici le forgeron dispose à la fois d’eau glacée et de sang brûlant et je ne suis pas sûr de bien comprendre… »
Une image vivante de son père, voilà ce qu’il était. Rayna songea que c’était sans doute tout ce qu’il lui restait à présent de l’homme qu’elle avait aimé, et cette pensée la poignarda de douleur.
« Mère, allons… »
Edril avait refermé son livre et l’avait entourée de ses bras pour la réconforter. Elle avait dû se laisser aller sans en avoir conscience, et elle sentait à présent les larmes brûlantes qui coulaient sur ses joues.
« Mon fils… »
Rayna l’étreignit, ce bout d’homme de onze ans qui déjà se voulait son défenseur. Elle embrassa son front, inspirant profondément l’odeur discrète de ses cheveux d’ébène ; et le souvenir lui revint, poignant et insupportable.

Faves Romori était de retour, après une expédition de plus de trois mois aux côtés de Hlaren. Edril l’avait respectueusement salué à la mode de Morrowind, comme sa mère le lui avait appris, et Faves avait ri en le complimentant sur son éducation. Puis il avait pris place autour du feu, pour se réchauffer après les averses glacées d’Ondepluie – ce même feu qui brûlait encore dans la cheminée.
Rayna s’était réjouie de la visite de son ancien compagnon d’armes, elle l’avait accueilli chaleureusement, et pourtant un doute ignoble la taraudait, la rongeant de l’intérieur. Pourquoi revenait-il seul ? Sans mot dire, elle avait écouté Faves conter le récit de ses voyages à Edril, elle avait regardé son fils s’émerveiller devant les exploits de son père.
Et enfin elle ne tint plus – la question qui lui brûlait les lèvres était sortie.
« Hlaren n’est pas avec toi ? »
Faves avait pris un air embarrassé, et aussitôt elle avait su. Su que ses craintes étaient fondées, su que Faves allait vouloir la rassurer, mais qu’à présent l’angoisse ne la quitterait plus, ni le jour ni la nuit, jusqu’à ce qu’elle retrouve Hlaren ou que la mort la saisisse.
« Nous avons rencontré des troubles dans la Crevasse, nous avons dû nous séparer. Voyons, Rayna, ne t’affole pas ! Il était en parfaite santé quand nous nous sommes quittés. Il aura sans doute été retardé, je suis sûr qu’il sera de retour dans moins d’un mois. »
Dans moins d’un mois. Dans moins d’un mois. Dans moins d’un mois…
La phrase résonnait encore inlassablement, un an jour pour jour après avoir été prononcée. Un an de tourmente, de torture quotidienne, où elle n’osait garder l’espoir de peur d’être déçue, sans toutefois se résoudre à briser celui de son fils. Un an qu’elle avait passé à attendre, comme une sotte, comme la malheureuse créature désespérée qu’elle était. Un an où l’abominable réaliité avait fini par s’imposer, telle une évidence tragique : Hlaren ne reviendrait plus.
Son corps gisait-il, déchiqueté, dans un des abîmes de la Crevasse ? Avait-il été capturé, exécuté, laissé en pâture aux corbeaux et aux bêtes sauvages ? Avait-il eu à subir la torture, avait-il souffert avant de mourir ?
Il eût été un temps où, sans se poser de questions, elle se serait saisie de son épée, aurait revêtu son armure et serait partie elle-même à sa recherche. Elle avait déjà eu à le faire plusieurs fois, et à chaque fois était arrivée au moment propice. Mais la maternité l’avait amollie. Elle ne pouvait abandonner son fils à lui-même, et encore moins l’emmener avec elle. Mais, pire, elle savait que tout ceci n’était qu’un prétexte ; elle n’avait en réalité plus le courage de parcourir les terres sauvages, et surtout, elle craignait trop de découvrir par elle-même la terrible vérité. Elle avait encore préféré rester dans l’ignorance, pouvant continuer à se bercer de mensonges et d’espoirs trompeurs, tout en sachant ce qu’il en était réellement.
Elle étouffa un sanglot et serra plus fortement son fils contre elle. Elle était seule. Elle était si seule…

« Ne te souviens-tu pas de ce que j’ai dit, à la même date l’an dernier ? »
Rayna essuya ses larmes, honteuse de montrer cet exemple à son fils, et contempla le petit visage empreint de fierté et de détermination.
« Je t’ai dit que jamais tu ne serais seule. Je t’ai dit que je serais toujours là pour toi. L’as-tu oublié ? »
Edril la fixa de son regard sévère.
« Et bien, je te le répète, mère : tu ne seras jamais seule. Pas tant que je serai là pour toi. »
Rayna lut la volonté dans ses yeux rouges, et elle en fut ébranlée. Par Azura, comment avait-elle pu être aveuglée de la sorte ? Elle n’avait songé qu’à sa peine, qu’à son malheur, sans réaliser que son propre fils grandissait, se montrait plus fort qu’elle et que c’était lui qui lui montrait l’exemple.
Elle se maudit d’avoir fait preuve de tant de faiblesse. Si, physiquement, Edril ressemblait à son père disparu, c’était d’elle qu’il tenait sa force de caractère, du moins l’avait-elle cru jusqu’à ce jour. Non, pendant qu’elle se lamentait et s’inquiétait vainement, son fils, lui, avait cessé d’être un enfant, pour devenir définitivement un homme.
Elle l’avait sous-estimé. Elle avait pensé qu’il serait affecté par la disparition de son père, plus encore qu’elle-même ne l’était, mais elle avait été abusée par sa propre impuissance. Edril ne lui ressemblait pas. Edril avait surmonté l’épreuve , là où elle-même avait failli. Il était plus que temps qu’elle prît modèle sur lui, et qu’enfin elle renonçât à ses espoirs ridicules et à ses fatales illusions.
Rayna sécha ses yeux, plongeant son regard dans celui, farouche de son fils. Elle tenta de l’affronter, de le dominer ; mais il brillait dans ces iris le feu du Mont Ecarlate, et elle abandonna.
« Je m’en souviens, oui. Tu te comportes en brave, Edril Arundys ; comme le digne fils de Morrowind que tu es. »
Edril esquissa à peine un sourire, mais une lueur nouvelle brilla dans ses yeux – il ne pouvait imaginer compliment plus élogieux.
« Excuse-moi, mon fils. Je me suis comportée comme une mauvaise mère, pire, comme une combattante indigne.
- Tu… tu ne peux pas dire ça. Pas toi.
- Et pourtant, je nous ai fait perdre du temps à tous les deux. Nous avons mieux à faire qu’attendre sans espoir, et mon deuil est maintenant fait. »
Edril ne répondit rien. Un instant, Rayna eut peur d’avoir, par ce trop brutal revirement, brisé quelque espoir infantile qu’il aurait entretenu malgré sa vaillance ; mais son regard continuait d’exprimer la même détermination, la même volonté inébranlable.
« Je crois…, finit-il par dire. Je crois, non, je sais que père reviendra. Je n’ai aucun deuil à porter. Mais tu as raison, nous avons mieux à faire qu’attendre. »
Un vrai petit homme, se dit-elle fièrement. Et pourtant, il n’avait pas encore tout à fait abandonné l’enfant qu’il avait été.
Avec un sourire, Rayna se releva et marcha vers le coffre où, Edril le savait, l’armure d’acier poli et les lames attendaient depuis des années.
«- Tu vas… m’apprendre à me battre ?, demanda le garçon avec une pointe d’excitation dans la voix.
- Il faudra bien que quelqu’un le fasse. Les livres ne t’enseigneront pas tout. »
Rayna sortit une fine rapière et la soupesa.
« Alors, te sens-tu prêt ? »
Edril se contenta d’un sourire. Son heure était enfin venue.
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime16/12/2011, 18:47

Chapitre 3



« Frappe ! Allez, encore une fois ! »
Le métal frappait le métal, en un ballet sonore qui n’avait pas de fin. Edril enchaînait les coups sans répit, tournoyant et virevoltant, faisant tomber une pluie d’acier ; mais aussi farouches fussent-elles, les attaques de ses deux lames venaient toujours se briser sur la garde de son adversaire, s’acharnant aussi inutilement que le courroux de l’écume contre un rempart de pierre.

« Encore ! »
Le jeune elfe redoubla d’efforts, tâchant de surprendre son opposant par des passes toujours plus complexes, des enchaînements sophistiqués, par d’adroits moulinets ou par de brutales ruées. Il modifia le rythme de ses attaques, alternant les phases de lente répétitivité et les assauts féroces, frappant à droite puis à gauche, en haut puis en bas ; mais rien n’y faisait, il était incapable de briser la défense de son adversaire, tout comme il était incapable d’égaler la fulgurance de ses réflexes.
Edril se jeta en avant, poussant un cri de rage et abattant avec force ses deux épées – mais son opposant esquiva l’attaque avec agilité, et il ne frappa que le vide.

« Bon, ça suffira pour aujourd’hui. »
Edril se retourna, le souffle court, fixant sa mère dans les yeux. Ses cheveux noirs gouttaient de sueur, et sa chemise de jute collait désagréablement à son dos, sous l’action combinée de l’action physique et du soleil de Hautzénith. Mais elle n’avait même pas transpiré – tout juste était-elle un peu essoufflée. D’un geste furieux de dépit, il jeta ses deux armes sur le tapis d’aiguilles de pin.
« Voyons, ne fais pas cette tête. Tu progresses de jour en jour.
- Ca ne suffit pas… pour t’égaler. »
Rayna rit et ficha sa claymore dans le sol.
« - Ca ne fait que six ans, Edril ! Dis-toi bien que ma formation a été beaucoup plus longue avant que la Maison daigne enfin m’envoyer en mission. Reprends donc ta respiration calmement. Je sais bien que ce n’est pas toujours facile pour toi d’avoir ta propre mère comme maître d’armes, mais un jour tu me surpasseras.
- Pourtant tu es… la meilleure, répondit le jeune Dunmer en se redressant.
- J’étais, le corrigea-t’elle. Les années et l’inaction m’ont amollie. Et toi, tu as toute la vie devant toi ! Mais c’est vrai que je me débrouille encore assez bien pour mon âge. » Sourire. « Viens-tu ? Nous rentrons.
- Pas tout de suite. Je crois que je vais… profiter encore un peu de l’air frais. Merci.
- Je range tes lames d’entraînement ?
- Ce n’est pas la peine. Je préfère les avoir toujours à ma portée. »
Rayna leva les yeux au ciel et soupira.
« - De quoi as-tu donc peur ?, se moqua-t’elle gentiment. Qu’un ours te saute dessus ?
- Tu ne devrais pas rire. C’est toi qui m’as appris à toujours être sur mes gardes, surtout quand nous pensons être en sécurité.
- Et j’en assume la pleine responsabilité. Mais n’en fais pas trop non plus. »


Edril avait retiré sa chemise pour s’asseoir contre un grand pin, dans l’appréciable fraîcheur que procurait la ramure d’aiguilles. Le contact de l’écorce rêche et friable était encore plus désagréable que celui du tissu trempé, mais cela ne le dérangeait pas outre mesure. Il était entièrement concentré sur son souffle, les sens à l’écoute, se montrant plus réceptif pour mieux faire le vide en lui – le meilleur moyen pour lui de s’apaiser après la fureur du combat.
Il en avait besoin. Il se laissait dominer par ses émotions ; le fracas des armes et la tension de la lutte éveillait toujours en lui une passion trop violente, même quand il ne s’agissait que d’un simple entraînement. Mais comment aurait-il pu en être autrement, de toute façon ? Tout n’était pas t’il fait pour lui donner envie de se battre, d’exprimer par l’épée ce qu’il ne pouvait dire autrement ?
Non, non. Maîtriser sa respiration. Profiter de la caresse du vent. C’était justement là son problème – ses émotions violentes. Il se maîtrisait devant sa mère, par respect pour elle. Il lui vouait une admiration sincère et profonde, en tant que fils aussi bien qu’en tant que combattant. Il la considérait comme insurpassable, à quelque niveau que ce soit. Il faisait tout son possible pour un jour l’égaler, pour ne pas décevoir l’espoir qu’elle plaçait en lui, pour ne pas lui montrer qui il était vraiment. Mais quand il avait vu qu’il ne parvenait même pas à porter un seul coup d’épée… Il avait senti renaître en lui le sentiment d’injustice et d’impuissance qui le rongeait depuis des années. Depuis l’instant de sa naissance, peut-être, même si la conscience ne lui en était venue que progressivement, au fur et à mesure qu’il comprenait que sa situation n’était pas celle de tous.
Sa mère minimisait à l’extrême leurs contacts avec le monde extérieur, et il ne comprenait que trop bien ses raisons. Leur sécurité jouait avant tout, certes. Et cependant, il avait fini par apprendre l’existence des Autres – d’autres à leur ressemblance, dans ce pays de sauvages à la peau blanche et aux cheveux jaunes. D’autres qui vivaient dans la misère, certes, dans le mépris des Nordiques, mais dans la liberté ; et ils suscitaient son envie tout autant que sa pitié.
Ils étaient pauvres, oui, pauvres et misérables, soumis et cloîtrés dans ce qu’ils appelaient le Quartier Gris. Ils subissaient des brimades, ils connaissaient chaque jour la peur, l’insécurité. Edril, lui, était appelé à devenir un guerrier, à se battre plutôt qu’à se subir, à se battre justement pour ses frères opprimés. Mais eux… Dieux ! Eux étaient libres ! Libres de se voir, se parler, échanger. Alors que lui… lui n’avait connu que la réclusion, la solitude, et pour seule compagnie sa mère et le souvenir d’un père disparu. Et malgré tout l’amour qu’il portait à chacun d’entre eux, cela ne lui suffisait plus.
« Edril ! »
L’appel coupa net le cours de ses pensées, et sa main se referma instinctivement sur la poignée de son épée d’entraînement. Quelque chose n’allait pas, dans le ton de sa mère. Oui, quelque chose allait de travers, et il le sentait.


Le jeune homme ricana.
« Pourquoi cries-tu, peau-grise ? Aurais-tu peur ? »
Rayna les scruta. Ils étaient huit ; toute une bande, à se tenir entre elle et la porte de sa chaumière. Jeunes, dans l’ensemble, malgré leurs âges différents – si la plupart avaient au moins vingt ans, d’autres étaient beaucoup plus jeunes qu’Edril. Les plus âgés la bravaient du regard en riant ; les plus jeunes les imitaient, mais elle savait qu’ils ne se sentaient forts que parce qu’ils avaient la force du nombre. Ils étaient hétéroclites jusque dans leur façon de se vêtir : il y avait là des gosses de rue comme des enfants de nobles dans leurs vêtements de chasse. Un point cependant les rassemblait : ils portaient tous de lourdes barres de bois, et ils comptaient s’en servir.
Leur meneur, un grand garçon brun aux habits de qualité qui souriait avec satisfaction, reprit ses interjections :
« Vois-tu, peau-grise, nous nous ennuyions. Et puis nous nous sommes dit qu’on pourrait faire quelque chose d’utile pour les gens du coin. C’est que la ville pullule de ces racailles d’elfes noirs, et il n’y a pas grand monde pour les aimer. Mais on ne peut rien contre eux, ils sont nombreux, et prêts à se battre comme les chiens qu’ils sont. Par contre, on nous a dit qu’ils avaient aussi essaimé jusque dans les montagnes ; il paraîtrait même qu’une de ces peaux-grises y vivrait seule. Amusant, non ? Autant lui rendre une visite de courtoisie… »
Rayna cracha avec mépris :
« C’est donc cela qu’on m’envoie, maintenant ? Des gamins et des couards, des petits imbéciles qui se sentent obligés de rameuter une troupe entière pour oser me défier, et qui se croient impressionnants parce qu’ils se sont armés de bout de bois ? Rentrez chez vous, les enfants, j’aimerais autant que possible ne pas avoir à tuer l’un d’entre vous pour donner l’exemple aux autres. »
Elle brandit sa claymore d’exercice d’un air menaçant.
« Déguerpissez, ou vous allez voir ce que c’est que de savoir se battre !
- Oh, mais nous n’avons pas peur, répondit le garçon brun. Je crois bien que c’est vous qui avez toutes les raisons de vous faire du souci. »
Les jeunes hommes commencèrent à se déployer, formant un demi-cercle autour d’elle sans la quitter des yeux. Ils avaient l’air décidés. Par l’Oblivion, elle allait vraiment devoir se battre…
« Edril ! », appela-t’elle à nouveau d’une voix où commençait à percer l’inquiétude.
« - Appelle tant que tu veux, femme elfe. Ca ne te suffira pas pour échapper au sort que tu mérites… »

Edril courait à en perdre haleine, la gorge en feu. Ce n’était pas normal… Qu’avait-il perçu d’inhabituel dans sa façon de l’appeler ? Il n’aurait su le dire, mais ce n’était pas ce qui comptait. Tout ce qui importait était qu’elle avait besoin de lui…
Daedras, faites que je sois assez rapide !


« Vous le regretterez, vraiment. Nous ne tenons ni vous ni moi à ce que le sang coule. »
Rayna tenta une fois de plus de les intimider du regard, mais c’était peine perdue. Il suffisait pourtant qu’elle en tue un seul, un seul, pour mettre en péril l’existence que son fils et elle avaient réussi à mener en paix pendant dix-sept ans. Pourquoi refusaient-ils donc de comprendre ? Il était trop tard pour fuir, et Edril restait désormais son seul recours pour éviter de commettre l’irréparable.
« Reculez, je ne vous le répéterai pas ! Mon fils arrive, qu’est-ce qu’une bande d’enfants espère faire contre deux combattants en armes ? »
Quelques uns des plus jeunes s’échangèrent des regards inquiets.
« - Allons, voyons. Vous ne voyez pas qu’elle essaye de s’en tirer à bon compte ? Mais on va lui montrer ! »
Sur un geste du meneur, les trois plus âgés se ruèrent en avant. Rayna esquiva sans peine leur assaut maladroit et asséna un violent coup de pied au premier d’entre eux, qui s’effondra au sol en grognant.
« - Et maintenant, siffla-t’elle avec colère, reculez ou… »
Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase ; elle fit volte-face et para un coup de bâton de sa claymore, mais un deuxième coup s’abattit derrière son épaule, lui arrachant un bref cri de douleur.
« Maintenant ! »
Sentant leur adversaire affaibli, la meute se jeta en avant, comme des chiens à l’heure de la curée. Les coups se mirent à pleuvoir, trop rapides, trop nombreux pour qu’elle puisse y changer quelque chose. Dans le chaos, Rayna sentit un corps s’empaler sur sa lame – puis ses mains abandonnèrent la poignée.
« La chienne ! Elle a eu Rokir ! »
Un coup bien plus violent s’abattit, la pliant en deux. Dans un geste désespéré, elle tenta de se protéger la tête de ses bras, mais la tornade furieuse ne s’arrêtait pas…
Dix coups, vingt coups, cinquante coups… Elle hoqueta de douleur, cracha du sang – ce sang qui excita d’avantage encore la fureur de ses adversaires, bêtes sauvages mues par le plus primal des instincts. Elle avait déjà connu pire, elle avait déjà été livrée à la merci de ses ennemis, elle avait déjà subi les coups, l’humiliation, le danger de mort… mais Hlaren avait été là pour elle. Hlaren avait été là, et sa seule vue avait fait fuir les assaillants.
Hlaren…
Deux larmes coulèrent sur ses joues. Hlaren n’était plus là.


Edril les entendit avant de les voir. Les railleries. Les menaces. La voix de sa mère, qui tentait de se défendre. Puis les cris, et le tumulte du combat.
Par le sang des daedras, pourquoi l’avait-il laissée rentrer seule ? Toujours rester sur ses gardes, surtout quand l’on se croit en sécurité, tel était son enseignement. Elle le lui avait appris, oui, et maintenant ils pâtissaient de son inconséquence !
Les arbres défilaient à pleine vitesse, les branches cinglantes fouettaient sa figure. Quelle importance ? Les épines cruelles lacéraient sa peau noire sans qu’il tentât même de les écarter. Quel… quel imbécile il était ! Faible, faible, pitoyable !
Les larmes coulaient avec fureur sur son visage, brouillant sa vue. Et, eux… Eux, les lâches ! Dieux, ils allaient le payer !

Edril s’abattit sur le groupe de voyous comme le courroux du Dagoth Ur s’était abattu sur Vvardenfell, comme Nérévar sur les faux dieux. Il hurla, fonça, prêt à déchirer à mains nues ceux qui osaient s’en prendre à sa mère bien aimée.
Avant que quiconque ne réagît, il était au cœur de la mêlée, jurant, frappant aveuglément, de toutes ses forces. Le sang éclaboussa son visage, il sentit ses deux lames pénétrer les chairs de ses ennemis. Ses yeux flamboyaient comme le feu de Morrowind, sa colère ne connaissait aucune limite. Il était le bras vengeur, infatigable ; il était la Mort, venue emmener avec elle les âmes damnées. Dans l’ivresse du carnage s’exprimaient dix-sept années de haine, et un siècle et demi de rancœur accumulée contre l’oppresseur.
Edril se sentit entravé. Des bras, des corps se pressaient contre lui, retenaient ses gestes. Il baissa la tête, bondit en avant, emportant dans une lutte sauvage son adversaire. Ils roulèrent sur le sol, mais Edril plaqua l’autre contre terre, et il devina plus qu’il ne vit vraiment sa face abjecte de Nordique. Il la frappa, du pommeau de ses épées ; il frappa, encore et encore, la martelant avec acharnement, au milieu des hurlements de pourceau, jusqu’à ce qu’il entende les os craquer, jusqu’à ce que la chair jaillisse et que ses mains soient rouges ; et devant le spectacle répugnant de ce crâne défoncé, il éprouva une satisfaction morbide.

Edril se releva. Une flamme s’était allumée, qui n’était pas près de s’éteindre.
Six corps gisaient sur le sol. Celui de sa mère. Ceux de ses agresseurs. Les autres avaient fui.

Un jeune homme aux cheveux bruns et d’une pâleur de mort essayait de s’échapper, rampant comme un ver blessé. Son regard croisa celui du Dunmer ; comme une bête affolée devant le chasseur, il essaya de se hâter, se traînant frénétiquement, la terreur dans les yeux. Edril marcha vers lui calmement – et il n’en était que plus redoutable. Le garçon poussa un bref glapissement, sentit des racines derrière lui, et s’adossa au tronc comme on se raccroche à un dernier espoir.
« Tu n’es même pas un Nordique. »
La phrase tomba comme une sentence.
Le garçon bafouilla.
« Pa-pa-pardon…. Ppp…. »
Edril considéra avec mépris l’être abject qui avait attaqué sa mère et osait encore l’insulter par des excuses. Il lui saisit le menton, et le balbutiement se mua en hoquet d’agonie. Il lui inclina la tête en arrière – et, sans un mot, lui trancha la gorge. La gerbe écarlate gicla, les aspergeant tous les deux ; mais Edril ne le lâcha pas, et il soutint son regard jusqu’à ce que tout le sang se soit vidé et que les yeux se figent.
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime26/12/2011, 17:11

Chapitre 4


« Par Azura ! Et tu l’as laissée dans cet état pour venir nous trouver ? »
Faves Romori se défit de sa cape de voyage et s’agenouilla auprès de Rayna, étendue livide sur son lit.
« J’étais bien obligé, s’expliqua Edril. J’ai fait aussi vite que j’ai pu – même si j’ai dû d’abord laver le sang.
- Encore heureux que tu ne sis pas venu me chercher dans les rues de Vendeaume, dans l’état où tu étais. Il faudra aussi veiller à s’occuper des corps. »
Les lèvres tuméfiées de Rayna s’agitèrent faiblement :
« Faves…
- Oui ? Je suis là, Rayna, ne t’en fais pas. Nous sommes venus avec la guérisseuse. »
Une vieille Dunmer énergique se fraya un passage dans la pièce exiguë à grands coups d’épaules.
« Allons, allons, poussez-vous ! Comment voulez-vous que je la soigne si je ne peux même pas m’en approcher ? »
Edril recula pour lui ménager un espace.
« Hé bien, on peut dire qu’ils ne vous ont pas ratée. »
La guérisseuse observa d’un air préoccupé les ecchymoses et les plaies ouvertes.
« Pas joli joli, marmonna-t’elle pour elle-même.
- Vous pouvez faire quelque chose ?, demanda Edril dont l’ouïe était perçante.
- Hein ? Oh, oui, je peux refermer la plupart des blessures et préparer quelque chose pour la remettre sur pied. Mais elle a l’air d’avoir plusieurs os cassés, et pour ça je ne peux pas faire grand-chose.
- Fais ce que tu peux, Ienasa, intervint Faves avec douceur. L’essentiel, c’est de la remettre vite sur pied ; avec ce qui s’est passé, je ne donne pas plus de trois jours avant qu’ils ne soient pris en chasse. Et peut-être moins si c’était bien la bande du fils de Brachus, comme je le crains.
- Qui est ce Brachus ?, lui demanda Edril.
- Dites moi, les garçons, les coupa Ienasa, vous voudriez bien sortir ? J’ai des soins à prodiguer, et je vais avoir besoin de la déshabiller.
- Bien sûr. Viens dehors, Edril, je vais tout t’expliquer. »

Les deux elfes s’approchèrent des chevaux qui les avaient portés depuis Vendeaume, agréables sources de chaleur dans la fraîche nuit d’été. Les deux bêtes étaient nerveuses – l’odeur de mort qui se dégageait du tas de cadavres les perturbait. Faves caressa leur museau et en saisit les rênes.
« Eloignons-nous un peu, tu veux ? Les chevaux n’aiment pas le sang, et moi non plus d’ailleurs.
- Vas-tu enfin me répondre ? Qui est Brachus ? Et que crains-tu ? »
Faves soupira.
« - Quelle que soit l’identité des agresseurs, vous allez devoir fuir, et le plus tôt sera certainement le mieux. Peu importe que ces imbéciles aient été dans leur tort ; tu te doutes bien que ni la population ni la garde ne laisseront pas impuni ce qu’ils considéreront comme un meurtre – un meurtre multiple. J’ai compté au moins cinq corps dans l’obscurité. Quoiqu’il en soit, donc, vous allez au devant de très gros ennuis. Mais s’ils étaient bien qui je crois…
- Qui ça ? Vas-tu m’expliquer, pour finir ?
- Et bien… J’ai entendu dire que le fils du gouverneur de la légion d’Estemarche, Verus Brachus, préparait un sale coup. Et la coïncidence est troublante. L’aurais-tu aperçu ? Il est un peu plus âgé que toi, une vingtaine d’années ; un grand brun au teint de Cyrodiléen, et sans doute bien mieux vêtu que les Nordiques dont il a coutume de s’entourer. »
Edril hésita.
« - Je crois savoir de qui tu parles. »
Laissant là les montures, il mena Faves jusqu’au cadavre encore adossé au tronc d’arbre, la tête effondrée sur le torse. Edril la redressa pour que Faves puisse la reconnaître. Celui-ci blêmit.
« Je crois bien que c’est lui. Tu l’as… égorgé ? »
Edril ne répondit pas.
« Tu dois bien comprendre, Edril… Verus Brachus est un homme puissant, même dans cette châtellerie où le pouvoir impérial est mal considéré. Vous auriez déjà été en danger s’il s’était agi de simples gamins des rues. Mais là… Brachus dirige tous les légionnaires de la région. Son fils était en tort, et s’il avait pu l’empêcher de se lancer dans cette entreprise stupide, il l’aurait fait. Mais quand il apprendra que son propre fils est mort… Dieux, vous n’aurez aucun répit ! Tu comprends, Edril ? Vous allez avoir toutes les troupes de l’Empire à vos trousses ! Vous serez traqués, poursuivis inlassablement. De tous les scénarios envisageables, c’est certainement l’un des pires que l’on aurait pu imaginer. »
Le jeune Dunmer ne répondait toujours pas.
« Ecoute, Edril, je… Je comprends que… Enfin bref, tout ça te tombe dessus comme ça. Tu n’as rien à te reprocher. Je ne sais pas dans quel état serait ta mère en ce moment si tu n’avais pas été là. Tu as… tu t’es montré très brave, Edril. Tu ne pouvais pas deviner quelles seraient les conséquences.
- Je ne regrette rien, le coupa-t’il. Ce n’wah n’a eu que ce qu’il méritait, tout fils de légat qu’il pût être. Non, ce que je me demande, c’est pourquoi lui, pourquoi un Impérial a choisi de s’en prendre à une Dunmer. Pourquoi ? Je croyais que c’étaient les Nordiques qui nous haïssaient, que l’Empire, malgré tout, avait toujours tenté d’apaiser les tensions raciales entre les différentes provinces. Alors pourquoi ?
- La haine et la stupidité n’ont pas de raisons, répondit Faves tristement. C’est vrai que les Impériaux entretiennent moins de préjugés à notre égard… mais le fils de Brachus a été élevé ici, parmi des petits camarades dont le jeu préféré consiste à opérer des descentes dans le Quartier Gris. Ils ont juste décidé de passer à l’étape d’après… Les sales petits cons. Tu as raison, après tout, ce n’est que ce qu’ils méritaient. Mais quel prix allez-vous payer maintenant ?
- Edril ! Faves ! »
Ienasa était sortie de la chaumière.
« Rayna vous demande. »

« Mère ! »
Edril serra sa main.
« Je n’ai utilisé que des sortilèges de guérison superficielle, expliqua Ienasa. A plus long terme, il va lui falloir des potions de soin, et surtout du repos – mais à ce que j’ai compris, on ne peut pas trop compter dessus. »
Rayna resserra ses doigts sur la main de son fils et tourna vers lui son visage aux plaies refermées.
« Edril », sourit-elle. « Tu as été… très brave. Et je vais encore… avoir besoin que tu le sois.
- Vous avez prévu une sorte de plan, Rayna et toi, non ?, demanda la guérisseuse.
- En effet, répondit Faves. Elle savait que tôt ou tard quelque chose de ce genre arriverait. Nous en avions déjà discuté, et nous avons tout planifié.
- Tu en as… parlé à Edril ?
- Pas encore, Rayna. Ecoute, mon garçon… L’idée de ta mère était de t’envoyer à Fortdhiver.
- De… quoi ?
- A l’Académie, plus précisément. Nous avons des contacts, là-bas. J’ai déjà traité moi-même avec l’archimage Saren. S’il y a un endroit où tu seras en sécurité, c’est bien là-bas. Ni l’Empire, ni les Nordiques ne pourront t’y atteindre.
- C’est… c’est hors de question !, s’emporta le jeune homme. Et ma mère ? Où ira-t’elle ? Que deviendra-t’elle ?
- Edril…, le supplia Rayna. Tu… dois.
- L’Académie ne peut pas l’accueillir – et elle ne le souhaite pas, d’ailleurs. Non, nous avons élaboré un plan de fuite il y a plusieurs années, passant par d’anciennes caches et des refuges du temps où nous combattions encore le Dragon Rouge. Rayna partira vers l’ouest, puisqu’ils s’attendront évidemment à ce qu’elle tente de regagner Morrowind.
- Et pourquoi ne le ferait-elle pas ?, demanda Ienasa. Si elle se dépêche suffisamment, elle sera effectivement hors de leur portée.
- La frontière est bien trop surveillée, répondit Faves en faisant non de la tête. Et son signalement sera donné immédiatement – dès que Brachus aura compris ce qui s’est passé. Il ne nous reste de toute façon pas beaucoup de temps. Edril, combien étaient ces garçons ? Vous les avez tous tués ?
- Difficile à dire, hésita le garçon. Je ne me suis pas trop rendu compte, sur le moment. Mais je pense que certains se sont enfuis.
- Alors ils sauront bientôt très exactement ce qui s’est passé. Même pas la peine de faire disparaître les corps. Tu dois avoir disparu demain, Rayna. Ienasa Nalyn t’accompagnera pendant un ou deux jours, le temps que tu récupères. Moi, je m’occupe d’Edril.
- Je ferai tout mon possible pour une compatriote, mais je suis une guérisseuse, pas une espionne, fit remarquer Ienasa. Je soutiendrai notre convalescente du mieux que je peux, mais je ne connais pas l’art de la dissimulation. C’est à peine si je suis capable d’inventer des mensonges plausibles.
- Ne t’en fais pas, la rassura Rayna. Je pourrai… bientôt me débrouiller seule. Tu pourras rentrer à Vendeaume… et tu ne courras plus aucun risque.
- Ce n’est pas pour moi que je m’inquiète !, s’indigna la vieille femme. J’espère juste que je ne te ferai pas sottement repérer, maladroite comme je suis.
- Je viens avec vous », déclara Edril.
Il plongea ses yeux flamboyants dans ceux de sa mère ; mais elle détourna le regard. Faves expliqua patiemment :
« - Vous devez suivre des voies différentes, Edril. Il n’y a qu’ainsi que vous maximiserez vos chances de survie. Je ne sais pas si tu feras partie du signalement donné ; mais si c’est le cas, en restant avec ta mère, tu ne fais qu’accroître le risque que vous soyez reconnus. Crois-moi, la vie à l’Académie n’est pas si désagréable. Il y a de nombreux élèves d’origine dunmeri, des gens de ton âge. Et tu pourras aussi apprendre la magie.
- Pour quoi faire ? Ni ma mère, ni mon père ne se servent de ces artifices. Je n’en ai pas besoin non plus. Et je ne laisserai de toute façon pas ma mère partir seule. Je lui en ai fait la promesse.
- C’est pourtant de ta mère que vient cette idée, poursuivit Faves avec calme. Nous ne te demandons pas de devenir un mage ; seulement, tant qu’à être à l’Académie, autant en profiter pour recevoir l’enseignement qu’on y dispense. Et un jour viendra où tu ne regretteras pas de connaître un ou deux sortilèges. »
Edril se renfrogna. Sa mère n’osait même pas le regarder – elle avait honte de ce qu’elle lui demandait.
«Je vois que je n’ai pas mon mot à dire. Soit. Si c’est ma mère qui le demande, alors j’irai à l’Académie. Guérisseuse, je vous la confie. J’imagine qu’il sera trop dangereux de communiquer, à l’avenir ; alors laissez-moi seul un moment, que je puisse lui faire mes adieux. »

Faves Romori et Ienasa Nalyn s’exécutèrent en silence, sentant qu’il valait mieux ne pas discuter.
« Mère… »
Rayna pleurait.
« Mère, regarde-moi dans les yeux.
- Je suis… si fière de toi, Edril. Et je suis désolée… de t’imposer ça.
- Ce n’est pas grave. » Il posa une main rassurante sur son épaule. « Je sais qu’il n’y a pas d’autre solution.
- J’ai cru… j’ai cru voir ton père. Quand tu es venu me sauver. »
Les yeux d’Edril se firent humides.
« - J’aurais voulu tenir ma promesse. J’aurais voulu ne jamais te laisser seule.
- Va, mon fils. Suis ton propre chemin. Vis ta propre destinée. Et puissent les daedras faire… que nos chemins se croisent à nouveau avant la fin. »
Le jeune Dunmer se retourna – lui non plus ne voulait pas montrer ses larmes.


***

« Edril ? Tu pleures ?
- Non », répondit l’intéressé d’un air farouche – tout en reniflant.
Faves se rendit compte qu’il avait une fois de plus été maladroit.
« -Ecoute, tenta-t’il de s’excuser, je, euh… Oh, rien, en fait. »
Il abandonna. Mieux valait se taire – et profiter du paysage.

Les rayons de Masser perçaient les monts Vélothi, baignant la plaine de la Rivière Noire d’une irréelle lueur rouge. A leur gauche s’étendaient les marais du sud d’Estemarche ; à leur droite, la Rivière Blanche venue de l’ouest rencontrait la Rivière Noire, pour se jeter ensuite toutes deux dans l’estuaire de Vendeaume, au nord-est. Les tours de pierre du Palais des Rois se dressaient dans l’ombre, silhouettes noires antiques mais arrogantes ; et loin à l’est, bien qu’il fut caché à sa vue, Faves savait que se trouvait le mont Dagoth Ur, éminence ténébreuse surplombant une terre dévastée.

« Magnifique, n’est-ce pas ? Après quarante années passées dans cette terre inhospitalière, je crois que je m’y suis attaché. »
Edril restait silencieux. Pas très causant, le petit, songea Faves. Extérieurement, il ressemblait à Hlaren, certes ; mais de caractère, il était comme sa mère – en plus ombrageux, peut-être.
« Accroche-toi bien à moi et essaye de dormir un peu. La journée et la nuit auront été éprouvantes, et même s’il est difficile de se reposer sur un cheval, tu as besoin de récupérer quelques forces. Je vais nous conduire directement à Fortdhiver, sans perdre le temps d’un détour par Vendeaume. Je ne suis pas fatigué. Ce n’est pas moi qui ai vaincu seul toute une bande d’agresseurs, ajouta-t’il en souriant ; et je n’ai pas non plus fait en courant le chemin jusqu’à Vendeaume pour trouver une guérisseuse. »
Mais Edril ne répondit pas non plus aux compliments ; et Faves ne comprit qu’alors qu’il s’était déjà assoupi. Va, songea-t’il avec bienveillance ; tu l’as bien mérité.

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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime2/1/2012, 16:35

Chapitre 5


« Novice ? »
Edril se retourna brusquement, sur la défensive.
« Menus Drinith, se présenta le jeune homme au visage rond et jovial qui l’avait accosté en lui tendant la main.
- Edr… Anden Llerys », répondit Edril. Par les Daedra ! Cela avait bien failli lui échapper. Il n’était pas encore habitué à son nom d’emprunt.
Il considéra un instant la main tendue avec suspicion, puis la serra.
« - Tu m’as l’air déboussolé. Premier jour à l’Académie, hein ? »
Edril ne sut que répondre. Faves lui avait pourtant donné des instructions claires – mais la cordialité de ce parfait inconnu le laissait pantois. Il n’avait jamais été habitué à une telle amabilité.
« Ne sois pas timide, poursuivit Menus. Viens donc, que je te présente aux autres ! Tu remarqueras que nous sommes nombreux, ici, même si les Nordiques voient d’un mauvais œil les élèves dunmers. De toute façon, les Nordiques voient d’un mauvais œil l’existence même de l’Académie, alors bon… »
Timide ? Edril aurait voulu répliquer quelque chose de cinglant, mais il se rendit compte qu’il en était incapable. Tout compte fait, le jeune mage avait raison – il était bel et bien timide.

Menus le mena sous les hautes voûtes de pierre de l’Académie, jusqu’à une table où siégeaient une demi-douzaine d’élèves, tous dunmers, et tous novices – reconnaissables à leur capuchon beige ; le même que celui dont on avait vêtu Edril à son entrée.
« Voici Adosi, Taluro, Nilas, Felsu, Ondres et Odaishah. »
Menus les désigna les uns après les autres ; chacun se fendit d’un aimable signe de tête.
« Je vous présente… comment as-tu dit t’appeler, déjà ?
- Llerys. Anden Llerys. »
Cette brusque bouffée de contact social perturbait quelque peu Edril. Lui qui avait toujours envié ceux élevés au contact des autres, se voyait embarrassé une fois au milieu de jeunes de son âge. Difficile d’être propulsé en société du jour au lendemain…
Menus s’assit, l’invitant à faire de même. Aussi Edril prit-il place avec précaution parmi la tablée.
« D’où viens-tu ?, demanda la fille à sa droite, vive et enjouée, qu’il crut reconnaître comme étant Taluro.
- De Morrowind », répondit-il par habitude.
Taluro rit.
« - Mais enfin, nous venons tous de Morrowind ! Même si ici il n’y a qu’Ondres qui y soit né. De quelle région viens ta famille ? Et toi, où habitais-tu avant de rejoindre l’Académie ? »
Edril rougit, honteux de son impair.
« - Je suis d’Estemarche, se reprit-il. Et ma famille… je ne sais pas exactement d’où elle venait. Ce sont mes grands-parents qui ont migré ici, mais je ne les ai pas connus. » Edril n’en rajouta pas plus, de peur d’en dire trop. Cela ne servait à rien d’utiliser un faux nom si par ailleurs il divulguait toutes sortes d’informations permettant de l’identifier.
« - Oh, fit la jeune fille, pensive. Oui, le souvenir se perd avec le reste – notre histoire, nos traditions. Menus et moi venons aussi d’Estemarche, nous avons tous deux de la famille dans le Quartier Gris. Sinon, nous sommes presque tous venus de Vvardenfell, évidemment, puisque ce fut la première région touchée par le Cataclysme. Et Odaishah est de la tribu des Ahemussa.
- Un… Cendrais ? », tenta de se rappeler Edril. Il se souvenait d’avoir lu le nom d’Ahemussa dans un de ses livres en dunmeri.
Odaishah hocha la tête en signe d’approbation.
« - Aujourd’hui, rares sont ceux qui se souviennent de nous, même parmi les Dunmers, dit-il d’un air sombre. Nous sommes ceux qui avons le plus perdu. Il ne reste presque rien de nos tribus, seuls quelques membres éparpillés loin de nos pâturages, et qui ne peuvent d’avantage faire perdurer notre mode de vie pourtant millénaire. Avec nous disparaît le souvenir du peuple Chimer… Mais j’espère bien retourner un jour sur la terre de mes ancêtres, et reprendre l’élevage des troupeaux, si du moins tous les netchs de Vvardenfell n’ont pas péri dans la catastrophe. Sinon, et bien, j’imagine que nous ne persisterons plus que dans les légendes.
- Odaishah, allons !, le gronda gentiment Taluro. Tu ne vas pas tenir le même discours déprimant à chaque nouveau qui se présente ?
- C’est pourtant la vérité, fit tristement le Cendrais.
- Attends, intervint Edril à l’attention de sa voisine, il me semble te reconnaître. Tu viens bien de Vendeaume ? Je… tu me fais un peu penser à une guérisseuse du Quartier Gris. Ienasa quelque-chose.
- Ienasa Nalyn, acquiesça la jeune fille. C’est en effet ma grand-mère, et comme elle, je me suis attachée à l’étude de l’Ecole de Guérison.
- En parlant de Guérison, fit l’un des novices, on devrait se dépêcher. Faralda donne bientôt son cours dans le Hall du Savoir.
- N’importe quoi !, s’écria un autre. On a une leçon de Destruction avec le vieux Revas Telnim. Et effectivement, on devrait se dépêcher. Il paraît qu’il a puni à coup de sortilèges de foudre le dernier élève qui est arrivé en retard. » L’élève fit un clin d’œil à Edril.
« - N’écoute pas ce qu’il dit, lui expliqua Menus, il essaye de te faire marcher. Maître Telnim est un vieux mage venu de Sadrith Mora, et qui enseigne ici depuis près d’un siècle. Il est puissant, certes, mais il ne ferait jamais de mal à un élève. Surtout à un Dunmer. »

La troupe de jeunes mages cavalait dans les couloirs sombres, à la seule lueur des torches magiques.
« Ne sommes-nous donc… que des Dunmers ici ?, demanda Edril entre deux foulées.
- Oh, non, lui répondit Menus. Mais nous sommes nombreux, oui, alors que les Nordiques sont rares. Ils n’aiment pas beaucoup les Arcanes. Et puis, même l’Archimage est un des nôtres, alors on nous laisse tranquille. Mais tout le monde ne nous aime pas, et tu entendras souvent des remarques désobligeantes prononcées à voix basse… Même parmi les professeurs. Mais tu verras, Telnim est un professeur charmant. Juste ce qu’il te faut pour un premier jour. »


Edril, impressionné, contemplait la vaste salle circulaire. Ainsi, voilà ce qu’était le Hall du Savoir… Il devinait plus qu’il ne voyait réellement le plafond, perché à une hauteur vertigineuse ; et au-dessus, comme il l’avait appris, se trouvaient encore l’Arcanum et les bureaux de l’Archimage. Quelle vue ce devait être de l’extérieur, que cette tour monumentale dressée sur son étroit piton rocheux, surplombant la banquise et la Mer des Fantômes ! Edril regrettait à présent d’avoir dormi pendant le voyage et d’avoir raté le spectacle.
Disposé au centre de la salle, un brasero monumental baignait les lieux de sa lumière bleue ; la même lumière que celle des flammes magiques dans les couloirs. Elle soulignait discrètement les inscriptions gravées sur le sol de pierre, symboles ésotériques et diagrammes complexes ; de même, elle mettait en valeur les imposantes arcades qui soutenaient la voûte. Edril ne pouvait s’empêcher d’être impressionné, même s’il ne vouait aucun intérêt aux sciences magiques – et même s’il s’agissait d’une réalisation humaine. Le jeune elfe était d’ailleurs si absorbé qu’il remarqua à peine l’entrée d’un vieux mage courbé, antique figure paraissant toute droit sortie d’un grimoire ; entrée pourtant remarquée et accueillie par de nombreux murmures dans les rangs des élèves.
« Ah, maître Llerys ! »
La voix était un peu chevrotante, mais forte encore, et elle résonnait sous les arches massives, tirant Edril de sa contemplation.
« Anden Llerys, c’est bien cela ? L’archimage m’a un peu parlé de vous… »
Le professeur était âgé, plus âgé qu’aucun autre elfe qu’il ait jamais vu. A en croire Menus, il avait au moins cent ans – et sans doute encore beaucoup plus. Mais malgré les rides et les cheveux gris, ses yeux pétillaient de vivacité et de malice. Et de perspicacité, songea Edril. Le vieux maître Telnim en savait manifestement plus sur son compte qu’il ne le laissait entendre.
« Et bien, et bien. Prenons place, je vous prie ! Et je demanderai une fois de plus aux spectateurs de bien vouloir reculer, je ne tiens pas à ce que quiconque soit blessé. »
Ce n’est qu’alors qu’Edril remarqua qu’en plus des novices qui assistaient à leur cours et dont il faisait partie, de nombreux élèves plus âgés étaient venus assister à la scène, depuis la colonnade qui ceignait la pièce. Les cours de Revas Telnim devaient être une source de distraction appréciée.
« Bon ! Et bien, puisque nous comptons un nouvel élève parmi nous, il serait bon de commencer par se rendre compte de ses capacités. Maître Llerys, voudrez-vous avancer ? »
Edril tenta de protester, mais le vieux mage vint le chercher lui-même par la manche pendant que les autres élèves reculaient. Menus lui adressa un sourire d’encouragement.
« Voyons, voyons, pas de timidité entre nous, mon garçon. L’archimage m’a dit que vous étiez quelque peu… réticent, à l’apprentissage de notre noble art. Mais allons ! Cela ne coûte rien de voir ce que vous valez, non ? Et la Destruction a toujours été l’un des exercices préférés des mages de Morrowind. »
Quelques élèves non-elfiques marmonnèrent derrière eux à propos d’un favoritisme entre elfes noirs, mais le vieux mage n’entendit pas – ou fit mine de ne pas entendre, et il mena Edril au centre du Hall, sous les regards de tous.
« Faites-nous donc une démonstration de vos talents, maître Llerys. »
Edril aurait voulu répondre qu’il n’avait aucun talent, qu’il n’avait jamais vu de magie et qu’il l’avait encore moins pratiquée, qu’il ne désirait même pas être mage ; mais aucun son ne réussit à sortir de sa gorge. L’attention de toute l’assistance pesait sur lui, notamment celle des élèves qui venaient de l’accueillir, et il se sentait parfaitement ridicule. Mais quelle idée que d’être allé se réfugier dans un nid de magiciens !
« N’ayez pas peur… » Revas Telnim, qui s’était écarté pour le laisser seul au centre de la salle, lui adressa un clin d’œil complice. « La Destruction est sous le contrôle de la Volonté, et je me suis laissé entendre dire qu’il n’y avait rien à redire pour vous de ce côté-là. Allez, montrez-nous ! Je sais que vous n’êtes pas à l’aise à cette idée, mais je tiens à tout prix à vous voir essayer. Ce n’est pas si dur que ça... Les sentiments violents peuvent par exemple être un bon catalyseur pour déclencher la première poussée de magie. Laissez-vous habiter par votre émotion ! Laissez s’exprimer ce qui sommeille en vous… Vous que les épreuves ont marqué, faites parler votre colère ! »

Voilà qui lui parlait d’avantage ; et après tout, il pouvait effectivement essayer. Qu’avait-il à perdre ? Hormis toute dignité et toute estime de lui-même, bien sûr.
Edril ferma les yeux pour mieux se concentrer. Il revit ce qu’avait été sa vie, dix-sept ans de ressentiment refoulé. La salle et l’assemblée de mages disparut, absorbés par le néant, et il songea à sa mère, blessée mais jetée sur les routes pour espérer sauver sa vie. Il la revit pleurer la disparition de son père, il la revit étendue mourante sur le sol, au milieu d’un enchevêtrement de cadavres.
Edril crispa les poings. Il revoyait la masse infâme des agresseurs, il entendait de nouveau leurs moqueries et leurs cris.
Des fourmillements lui vinrent dans les doigts. L’ignoble face aux traits épais, qu’il avait réduite en une bouillie sanguinolente du pommeau de ses épées. L’ignoble face qui le narguait encore.
Des picotements. Le jeune homme brun acculé, et qui demandait pardon. Le sang, le sang qui avait giclé de sa gorge ouverte, et les yeux devenus vitreux. L’odeur lourde et écœurante, et le contact chaud et poisseux sur son torse. Le flot écarlate qui ne tarissait pas...
Edril serra les dents. Une brûlure terrible envahissait tout son corps depuis son thorax, feu insoutenable qui le dévorait de l’intérieur. Les yeux du mort le fixaient, ses mots abjects résonnaient encore à ses oreilles : pardon…
Edril gémit de douleur. La flamme ardente brûlait en lui, dans son crâne, dans ses mains… Il tendit les bras – et sentit l’ouragan enflammé qui s’en déversa, le soulageant de son étouffante chaleur.
Il ouvrit les yeux… et aperçut Revas Telnim, qui dressa avec désinvolture une barrière magique entre lui et la déferlante incandescente. Abattu et épuisé par l’effort, Edril se laissa tomber à genoux.
« Comme quoi j’ai bien fait d’insister ! Je crois, sourit le vieux mage, que nous avons devant nous un futur maître de la Destruction. »


« Comment as-tu fait ça ? »
Edril soupira. Le cours était fini depuis longtemps et les élèves avaient regagné leurs appartements, mais Menus ne le lâchait plus et l’avait accompagné jusque dans sa chambre.
« - Je te le répète : je l’ignore…
- Le vieux Telnim était sacrément impressionné ! Tu es sûr de ne pas descendre d’une lignée de mages ?
- Menus, encore une fois, non ! »
Le Dunmer prit un air boudeur.
« - Très bien, puisque tu ne veux pas me dire. N’empêche que tu as fait très fort ! Nous partageons tous la même affinité pour le feu, mais c’est la première fois que je vois un nouveau sortir, l’air de rien, un sort d’une telle ampleur. Et tu as entendu ce que Telnim a dit, hein ? "Un futur maître de la Destruction", rien que ça !
- Ecoute, Menus, fit Edril avec lassitude. Je t’ai dit que je n’ai rien d’un mage. Je me suis retrouvé ici… par la force des choses, et un peu par hasard. Ce qui s’est passé aujourd’hui ne veut rien dire. Et tout ce que je veux, c’est me reposer.
- Et bien moi, répondit Menus avec malice, je crois que tu souffres juste d’un excès de fausse modestie. »

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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime5/1/2012, 16:47

Chapitre 6



« Trop sérieux, Anden ! Toujours trop sérieux ! »
Daedra ! Il n’y avait que lui pour venir l’interrompre de cette façon. Edril s’arracha à son livre pour se tourner vers Menus qui hochait tristement la tête en signe de désapprobation.
« Et puis, lui fit remarquer l’importun, Gro-shub va te tuer s’il découvre que tu manges au-dessus des livres de l’Arcanum. »
Edril reporta son attention sur la pomme entamée qu’il tenait effectivement à la main. Il avait commencé à déjeuner, il s’en rappelait ; mais il avait dû l’oublier ensuite, concentré qu’il était sur sa lecture. Il vérifia que les précieuses pages du manuscrit n’avaient pas été tachées par le jus du fruit, puis il le referma avec précaution – laissant tout de même dépasser une languette de papier pour marquer sa page.
« Tu as raison, excuse-moi, finit-il par dire. Je me laisse absorber et j’oublie tout ce qui m’entoure. Qu’est-ce qui t’amène ici ?
- Déjà m’assurer que tu es toujours en vie, plaisanta Menus. Ca fait une semaine qu’on ne te voit plus, tu es toujours à te cacher quelque part et à étudier.
- Il y a certaines choses que j’aimerais finir », dit Edril avec gravité.
Menus s’assit, jetant par la même occasion un coup d’œil à l’antre que son ami s’était trouvée. Il s’agissait d’une des nombreuses salles des sous-sols de l’Académie, isolées au milieu d’un véritable labyrinthe de couloirs souterrains. Hormis la table sur lequel reposait le grimoire et les deux chaises maintenant occupées, la seule décoration de la salle consistait en une unique lanterne et un trophée de chasse : accrochée au mur, la tête mitée du smilodon des neiges fixait le vide de ses yeux de verre, figée dans une expression menaçante. Grands dieux, songea l’apprenti mage, ils en ont donc mis jusqu’ici, de ces horreurs empaillées ?
« - Tu parles de tes fameuses recherches, c’est ça ? demanda-t’il en reprenant le fil de la conversation. Une sorte d’enchantement sans gemmes spirituelles ?
- Exact. Le mordant de l’acier, la brûlure du sortilège. » Edril sourit. « C’est bien ça, j’essaye de lier des sorts de Destruction à des armes sans utiliser l’Enchantement, uniquement par la Volonté. J’atteins les phases finales ; j’ai réussi à transmettre un sort de feu à une épée pour qu’il en nimbe la lame lorsque je la tiens en main, et ce sans abîmer le métal. Le procédé est gourmand en magie, mais il marche suffisamment bien pour que je puisse en même temps me servir de l’épée pour me battre. Deux épées à la fois, par contre, c’est encore trop pour moi, mais il ne me manque plus grand-chose à part de l’entraînement.
- J’oubliais tes talents guerriers. » Menus se renfrogna et inspecta Edril du regard. « Je te connais depuis trois ans, Anden Llerys, et par bien des égards tu restes une parfaite énigme à mes yeux. »
Edril ne répondit pas – il savait exactement de quoi son ami voulait parler. C’était vrai qu’il n’était pas comme les autres. Il n’avait pas vocation à devenir un mage, pour commencer, et ne s’en cachait pas. Il négligeait complètement l’étude des Ecoles de magie, hormis la Destruction qui seule trouvait grâce à ses yeux. Il était solitaire, aussi, préférant souvent étudier seul que former un groupe de travail. Et il n’avait jamais évoqué devant ses camarades, que ce soit Menus ou les autres, les raisons réelles de sa présence depuis près de trois ans à l’Académie.

« N’empêche que tu pourrais utiliser une gemme spirituelle, finit par reprendre Menus comme si rien ne s’était pas passé. Certes, ton étude n’est pas dénuée d’intérêt sur le plan théorique, mais en termes d’efficacité, tu parviendrais bien plus simplement à un meilleur résultat en enchantant tes armes. Pourquoi cet acharnement ?
- Je n’aime pas les gemmes, expliqua Edril. La capture d’âme ressemble trop à la nécromancie. Et je veux que mes lames brûlent de mon feu – de toute l’intensité de ma propre âme, pas de celle d’une créature inconnue que j’exploiterais. Pour finir, je ne destine cette technique qu’à mon seul usage. Je ne me préoccupe pas de marquer les annales par mes découvertes, je veux juste trouver une manière de me battre qui me corresponde.
- Te battre, toujours te battre... Dommage que tu ne penses qu’à ça. Avec ton talent et ton assiduité, tu pourrais faire de bien plus grandes choses, maître Telnim en est convaincu. Mais après tout, tu mènes les recherches que tu veux. Tout le monde, fit Menus en clignant de l’œil, ne peut pas faire aussi conventionnel que mes travaux sur la résonnance élémentaire des particules thaumaturgiques dans un champ altéré magiquement.
- Qu’est-ce que tu me chantes ? » Edril fronça les sourcils. « De la magie théorique ? Je croyais que tu laissais ces absurdités à Corvenne et que tu travaillais sur un nouveau sort d’entrave.
- Ah, ça me rassure de voir que tu n’es pas totalement déconnecté du monde. » Menus sourit. « C’est bien ça, un sort d’entrave. Même si je patine en ce moment, malgré ma coopération avec Felsu. La pauvre n’est plus bonne à grand-chose depuis qu’on ne te voit plus ; elle a passé toute la semaine à te chercher. J’ai eu plus de chance qu’elle.
- Pourquoi donc pouvait-elle bien vouloir me chercher ?, demanda Edril sincèrement étonné.
- Mais enfin, Anden, cette fille est folle amoureuse de toi ! Depuis ton premier jour ici, elle ne te quitte pas des yeux. Tu n’as jamais rien remarqué ?
- Je croyais qu’elle était juste... bizarre. » Edril était décontenancé par ce qu’il considérait comme la chose la plus absurde au monde.
« - Mais enfin, répéta Menus, tu dois être le seul élève de l’Académie à ne pas être au courant ! Et la moitié au moins des professeurs le sait aussi.
- Je suis... et bien, je ne m’y attendais pas. Je ne me suis même jamais posé la question. Mais ça ne change pas grand-chose, de toute façon.
- Pas grand-chose à quoi ?, demanda Menus soudain intéressé.
- Je m’en vais. Je quitte l’Académie. »

Menus resta un instant sous le choc de la nouvelle, ne sachant comment réagir. C’était trop brutal, trop énorme pour être vrai – mais Edril, il le savait, n’était pas du genre à plaisanter, surtout avec des sujets aussi sérieux. Mais enfin, cela n’avait pas le moindre sens !
« Partir ? Mais... pour aller où, voyons ?
- N’importe où. Ailleurs. Sûrement loin d’ici.
- Ce n’est... ce n’est pas une mauvaise plaisanterie, si ? S’il te plaît, dis-moi que si ?
- Non, Menus. Je pars vraiment.
A l’incompréhension succéda la colère :
« - Mais enfin ! Qu’est-ce qui te prend, Anden ? Qu’es-ce qui ne va pas ? Pourquoi dis-tu des choses comme ça ?
- S’il te plaît, Menus, dit Edril avec calme. Je préfère te prévenir, voilà tout. J’étais ici parce que j’avais des choses à faire ; et maintenant que ces choses sont faites, il est temps que je m’en aille.
- Mais enfin, tu as un avenir ici ! Une voie déjà tracée. Des gens qui tiennent à toi, même si toi tu n’as pas l’air de tenir à eux.
- Ma voie n’est pas ici, tu devrais le savoir.
- Attends... » Menus se leva, posant les poings sur la table. « Ne me dis pas... C’est encore cette histoire d’aller se battre, c’est ça ? C’est bien ça ? Par les saints du Tribunal, Anden, mais pourquoi ?
- Tu as raison, répondit Edril toujours aussi posément. J’ai une lutte à mener, et il n’y a plus rien ici pour me retenir.
- Pas même nous ? Pas même moi ? »
- Pas même moi ? »
Le ton était implorant, et Edril se rendit compte que lui répondre non aurait été douloureux. Il était solitaire de nature, parce qu’il avait toujours vécu ainsi. Il pensait pouvoir vivre sans avoir besoin de personne ; la compagnie des autres était agréable, certes, mais pas au point où il se sentait incapable de s’en passer. Et pourtant... Pourtant, Menus était ce qui ressemblait le plus à ses yeux à un ami, et il comprit qu’il lui serait pénible de s’en séparer. Il lui devait au moins la vérité.
« - Menus, commença-t’il à expliquer, comme tu me le reprochais tout à l’heure, je suis resté un mystère pour tous. J’en ai conscience, et c’était volontaire. Au départ je souhaitais éviter de me compromettre – et puis j’ai souhaité éviter de vous compromettre, vous. Tout le monde a bien compris que je n’étais pas vraiment là pour apprendre la magie. Que ma présence était incongrue. Et bien, vous aviez raison. Ma présence n’est, au fond, qu’une imposture, et je ne suis ici que grâce à l’archimage Savos Aren. Même mon identité est fausse – je ne me suis jamais appelé Anden Llerys.»
Une lueur d’excitation étincela dans les yeux de Menus.
« - Par les Tribuns, Endar, mais alors tu es un espion !
- Non, Menus. Rien d’aussi glorieux. Mon nom est.... » Edril soupira. « Mon nom est Edril Arundys. Je suis venu à l’Académie pour me cacher, recherché par des ennemis, pour une histoire qui est au fond absurde mais qui ne reflète que trop bien la situation de notre peuple sur cette terre. Menus, comprends bien une chose : tu ne répèteras jamais ce que je te confie. Pour toi-même, tu te tiendras au silence. Mon ennemi est puissant, et je ne veux mettre personne en danger.
- Mais alors tu ne peux quitter l’Académie, murmura Menus – comme s’il craignait soudain que des oreilles hostiles puissent l’entendre au plus profond des sous-sols de Fortdhiver. Pourquoi partir ? Tu es bien ici, et en sûreté.
- Mais je n’en puis plus d’attendre. Je ne suis pas le seul pourchassé. Ma mère l’est aussi. C’est sur son seul souhait que j’ai accepté de me réfugier ici, mais l’inaction me pèse trop. Maintenant que j’ai tiré ce que je pouvais des enseignements de l’Académie, plus rien ne me retient de partir et d’aller la rejoindre, pour faire front avec elle, et combattre.
- Combattre, toujours combattre ! Mais pour quoi faire ? Si ce mystérieux ennemi est si fort...
- Parce que je ne laisserai pas ma mère seule, répondit Edril avec fierté. Et parce que je suis maintenant assez fort pour faire face.
- Alors, c’est décidé ? demanda Menus avec dépit. Peu importe ce que j’ai pu dire, tu nous quittes ?
- J’en suis désolé, lui répondit Edril – et il était sincère. Il le faut, Menus. Il le faut. »



Savos Aren le contempla paisiblement.
« Ainsi votre choix est fait ?
- Oui, archimage, répondit Edril. Vous savez que j’ai promis à ma mère de venir à l’Académie malgré mes réticences, mais avec ce qui m’a été enseigné, je considère désormais ma promesse accomplie.
- C’est pourtant dommage. » L’archimage s’enfonça dans son fauteuil. « Qui aurait pu deviner que vous deviendriez aussi talentueux dans votre domaine ? Même pas vous, je suppose – vous qui étiez répugné à la seule idée de vous servir de magie. Revas va être très déçu, il avait placé de grands espoirs en vous.
- Archimage, dit Edril avec tout le respect qu’il pouvait, vous êtes Dunmers, vous et le professeur Telnim. Vous pouvez comprendre – que je ne puis rester ici, sachant ce qui nous attend dehors. L’Académie est un lieu privilégié, protégé du monde extérieur. Mais je ne peux décemment en profiter en connaissant le sort que subissent mes compatriotes, et encore moins en sachant que ma mère, elle, vit seule et dans le danger perpétuel d’être retrouvée et abattue. Ne jamais la laisser seule, telle était mon autre promesse.
- Je comprends, jeune homme, fit l’archimage de sa voix grave et posée. Comment pourrais-je tenter de vous retenir ? Les raisons que vous évoquez, je les connais toutes. Je sais moi aussi comment sont généralement accueillis les Dunmers à Bordeciel, et quelles sont les conditions de vie dans le Quartier Gris. Malgré l’isolement de l’Académie, j’ai pu assister à toute la dégradation de la situation depuis le Cataclysme – de l’édit qui offrait l’hospitalité aux réfugiés de Vvardenfell, jusqu’à aujourd’hui où nous n’inspirons guère plus que le mépris aux Nordiques. J’ai également une parfaite connaissance du sort de votre mère – je l’ai connue personnellement, à l’époque où elle officiait encore pour la Maison Redoran. Et enfin, je garde le contact avec Faves Romori, que vous connaissez bien et qui vous a d’ailleurs placé sous ma protection. Vous pouvez constater que je ne vis pas dans l’ignorance.
- Mais alors... » Edril aurait voulu se contenir, mais la question sortit quand même : « Alors pourquoi ne faîtes-vous rien pour que cela change ? »
Savos Aren ne répondit pas.
« Je vous prie de m’excuser, archimage. J’ai été insolent.
- Insolent, sans doute, mais vous n’avez pas entièrement tort. Oui, je pourrais lever des légions de mages, semer un peu plus le trouble dans ce pays qui en souffre déjà. Mais à quoi cela servirait-il ? A l’Académie, nous offrons aux jeunes Dunmers talentueux une chance de prouver leur valeur. Prenons l’exemple de votre confrère Cendrais, Odaishah Zainsubani. Les survivants des tribus nomades sont encore plus mal traités que les autres Dunmers ; on les traite de sauvages et de voleurs, mais en permettant à Odaishah de devenir mage, nous lui offrons la respectabilité, et elle rejaillit indirectement sur les autres Cendrais en exil. Peut-être cela suffira-t’il à changer le regard que l’on porte sur nous à Bordeciel, même si les mages ne sont pas au sommet de l’échelle de valeur des Nordiques. Dites-vous bien, Edril, que la situation n’est pas partout la même : hors d’Estemarche, la plupart de nos congénères peuvent mener une existence paisible et décente, presque parfaitement intégrés au reste de la société. Il n’y a bien qu’à Vendeaume que nous subissons de réelles persécutions.
- Mais la ville abrite la moitié de la population dunmeri de Bordeciel, fit remarquer Edril.
- Et c’est aussi pour ça que les habitants supportent aussi mal la présence de ceux qu’ils considèrent comme des "parasites", expliqua l’archimage. Le rejet de la population entraîne le repliement sur elle-même de la communauté dunmeri, puis un rejet encore plus fort... C’est un cercle vicieux, mais les mentalités vont bien finir par évoluer. Seul, vous n’y pouvez pas grand-chose ; mais je comprends votre souhait de partir retrouver votre mère. La protéger, voilà ce que pouvez effectivement faire pour améliorer la situation à votre niveau. J’ai cependant une question, jeune homme : pourquoi avoir choisi ce moment plutôt qu’un autre pour quitter l’Académie ?
- Et bien, j’ai appris tout ce que je pouvais. Je vous l’ai dit, maintenant que j’ai terminé mes recherches, je me sens libéré de mon obligation de rester ici. Et grâce à l’enseignement que j’ai reçu en Destruction, je serai plus capable que jamais de défendre ma cause.
- Est-ce vraiment tout ? »
Edril fut surpris par la question, et prit un instant pour réfléchir.
« Et je crois aussi, finit-il par dire, que je crains de m’attacher si je reste plus longtemps. »
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime5/1/2012, 16:49

Chapitre 7


Edril frissonna et resserra son manteau. Il avait presque oublié ce qu’était le froid, après trois ans cloîtré entre les murs épais de l’Académie. Pas le froid de la pierre ou des dédales humides ; non, le vrai froid, le vent cinglant des terres glacées qui pénétrait sous les vêtements pour vous geler jusqu’à l’os. Les autres passagers du chariot semblaient s’en accommoder mieux que lui ; c’était seulement le mois d’Âtrefeu, et les mois à venir seraient bien plus rigoureux.
Edril se dit que les trois années à Fortdhiver l’avaient ramolli ; c’était la même chose pour le chariot. Avant d’entrer à l’Académie, faire le trajet à pied ne l’aurait pas dérangé. Il se souvint de cette fameuse journée où il avait descendu les montagnes à train de course, pour aller chercher Faves et la guérisseuse pendant que sa mère se mourait. Comme il avait couru, ce jour-là ! Il ne se sentait plus capable du même exploit. Il était urgent de se remettre à l’exercice.
Il regarda le baluchon déposé à ses pieds dont dépassaient les fourreaux de deux épées. Pour ça, au moins, il était entraîné – du moins, du mieux qu’il avait pu faire sans adversaire. Dans un des livres qu’il avait lus était évoquée une tradition de combat mêlant magie et épée, mais il n’avait rencontré aucun de ces magelames à l’Académie, et il avait dû se débrouiller seul pour ne pas perdre la main. Ses deux épées étaient toute sa fierté. C’étaient celles de sa mère, celles qu’il avait emportées avec lui lorsque Faves l’avait conduit à l’Académie Il en avait soigneusement affûté les lames, avait pour elles balbutié à tâtons les incantations qui les rendraient dociles ; des heures durant, il les avait frottées de sels de feu pour les rendre plus résistantes, et avec l’aide du professeur Telnim il avait gravé à leur surface les runes aptes à diriger le flux magique. C’était le fruit de son travail, des armes uniques qui n’obéissaient qu’à lui, et il ne leur manquait qu’une seule chose : du sang à faire couler.
Un instant, il songea à les sortir de leur fourreau, à vérifier qu’elles étaient intactes – mais ce geste était puéril, il le savait, et il avait mieux à faire devant de parfaits inconnus. Mieux valait éviter d’attirer l’attention par des gestes inconsidérés.

« Et v’là Vendeaume ! Allez, tout le monde descend ! »
Les chevaux s’arrêtèrent devant le large pont qui surplombait la Rivière Blanche et menait aux portes de la cité.
« On se dépêche, on se dépêche ! Je fais trois fois la navette dans la journée, j’ai pas de temps à perdre ! »
Sous les harangues du conducteur, les voyageurs descendirent un à un, la plupart chargés de volumineux paquets. Ce n’étaient pas les plus fortunés qui employaient ce moyen de transport, et il y avait là plus d’une femme ou d’un enfant aux habits déchirés. Des réfugiés, pensa Edril, fuyant ce qui restait de Fortdhiver. Douce ironie du sort. Le Cataclysme avait eu des conséquences inattendues ; l’éruption du Mont Ecarlate avait provoqué un raz-de-marée sur la Mer des Fantômes, qui avait pour ainsi dire rasé l’ancienne capitale nordique, épargnant la seule Académie. Ce qui subsistait encore de la ville s’enfonçait chaque jour d’avantage dans le marasme, et les derniers habitants continuaient à fuir la cité fantôme. Seule l’Académie se dressait encore parmi les ruines, ce qui avait inévitablement conduit la population à accuser les mages d’êtres responsables du désastre – les mages, et donc les Dunmers. Edril s’en moquait bien ; la chose l’amusait, plutôt, et il aurait presque souhaité que ce pût être vrai. Si le Mont Ecarlate ne l’avait pas fait, il n’aurait peut-être pas refusé de le faire lui-même.

Edril suivit le petit groupe de Nordiques, tâchant de se fondre dans la foule. Il rabattit un peu d’avantage son capuchon sur son visage ; il y avait peu de chances que les gardes de la ville le reconnaissent ou sachent la moindre chose à son sujet, mais il voulait éviter tout risque inutile. Il venait de passer trois ans à se cacher justement pour éviter les ennuis, un peu de prudence n’était certainement pas du luxe.
« Hé, toi ! »
Mince. Edril fit mine de ne rien entendre, baissa la tête et continua à avancer sur le pont de pierre. Les portes ouvertes étaient si proches...
« Tu m’entends, le mage ? »
Il ne pouvait ignorer plus longtemps l’interpellation ; il se retourna et regarda les deux gardes en faction. Celui qui l’avait appelé était le plus âgé, joufflu et ventripotent sous sa cotte de mailles ; le deuxième, plus jeune, était manifestement moins expérimenté et ne semblait pas très à l’aise. Tous deux portaient les couleurs de la ville : un manteau bleu tempête, et un bouclier orné du fameux Ours de Vendeaume.
« Tu vois, fit le premier en s’adressant au plus jeune, je t’avais bien dit qu’il avait la peau noire. Sa capuche couvre son visage, mais on peut voir ses mains. Et puis, la capuche elle-même, ça indique un mage, ou bien un apprenti mage vu l’âge qu’il doit avoir. Et rien que ça, c’est une raison de se méfier. Les mages, c’est souvent des elfes, tu piges ? »
Le plus jeune acquiesça d’un signe de tête muet, pour faire signe qu’il avait bien retenu la leçon.
« Alors, l’elfe, on sort de sa p’tite école de magie ? Qu’est’ce tu viens faire à Vendeaume ?
- Rendre visite à de la famille dans le Quartier Gris, dit Edril en se retenant de cracher son mépris à la face du gros homme.
- Voyez-vous ça. C’est c’qu’ils disent tous. Tu pourrais aussi bien être un parfait étranger, voire un fauteur de troubles. Tu connais au moins quelqu’un dans le Quartier Gris, l’elfe ? Tu peux nous citer un nom ? »
Edril hésita, puis répondit :
« - Je suis le petit-fils de la guérisseuse. Ienasa... Ienasa Nalyn. J’imagine que vous la connaissez ?
- Hé, Arwulf, intervint timidement le jeune garde, je la connais, moi, la guérisseuse. J’y ai amené ma mère une fois qu’elle était malade et qu’le temple de Talos était fermé.
- Allez, c’est bon, passe. Mais relève donc ton capuchon, que je voie ta face d’elfe. J’oublie jamais un visage. »
Edril s’exécuta, et transperça le garde de son regard vermeil. Le jeune garde frémit et recula.
« Hé ben, hé ben, on peut dire que t’as pas un physique qu’on oublie, toi. Ha !, s’esclaffa le gros Nordique. La peau noire et les yeux orange, j’en vois pas beaucoup des comme ça. Allez, passe donc – mais dépêche-toi. »


Par l’Astrelune ! Edril porta instinctivement une main à son visage, pour se protéger de l’odeur pestilentielle qui se dégageait de la ruelle malsaine. Le sol était jonché d’ordures, les murs, couverts de bannières en loques, portant jadis les couleurs vives des enseignes dunmeri mais à présent ternes et sales. Un groupe d’enfants en haillons se dissimulait parmi les détritus, jetant des coups d’œil envieux au reste de la ville, aux lumières et aux hommes et femmes richement vêtus – ce monde qui leur était interdit.
Edril s’approcha, mais les enfants détalèrent. Son cœur se serra ; sans doute était-il trop bien habillé, lui aussi, et il avait dû les effrayer. Il ne portait pourtant que les vêtements qui lui avaient été fournis à l’Académie ; mais il se souvint comme lui-même avait été impressionné quand il les avait reçus. A l’époque, sa vie n’était pas si foncièrement différente de celle de ces gamins des rues... Etait-ce pour cela que le Quartier Gris lui semblait aujourd’hui aussi répugnant ? Il n’avait encore jamais été choqué de la sorte en y pénétrant. Etait-ce parce qu’il avait été entre temps habitué à mieux, ou la situation continuait-elle de se dégrader pour les elfes de Vendeaume ?
Edril s’avança dans le dédale de ruelles et d’escaliers, d’abord en hésitant, puis avec de plus en plus d’assurance au fur et à mesure qu’il retrouvait ses marques. Il n’avait jamais été un familier du Quartier Gris, mais il avait fait le chemin un nombre de fois suffisant pour s’en souvenir. Il ne tarda pas à retrouver le bâtiment qu’il cherchait, une baraque étriquée coincée entre une échoppe misérable et une maison délabrée aux volets cloués. Il enfonça sa capuche sur sa tête, prit une profonde inspiration et poussa la porte dans un grincement lugubre.

« Faves ? »
Edril rentra avec précaution dans la pièce étroite et sombre.
« Faves ?, appela-t’il à nouveau.
- Entre et ferme la porte !, lui répondit-on depuis le fond. Je t’attendais. »
Edril obéit et s’avança dans l’ombre, reconnaissant enfin la silhouette familière installée dans un fauteuil. Il poussa un soupir de soulagement.
« On m’a prévenu que tu quittais l’Académie. Allez, viens t’asseoir. Il n’y avait personne dehors ? Je veux dire pas, pas de gardes ? »
Edril chercha un endroit où s’asseoir, et jeta son dévolu sur une chaise en face du fauteuil de Faves. Il n’y avait pas beaucoup de choix, de toute façon ; l’espace exigu n’était pas encombré d’un mobilier trop prolifique.
« Il n’y avait personne dans les rues, finit par répondre Edril. Je ne me rappelais pas... je ne me rappelais pas que la situation était aussi terrible ici.
- C’est bien parce que tu n’as pas remis les pieds ici depuis longtemps. Combien de temps, déjà ? Ca doit déjà faire trois ans... » Faves refit le compte mentalement. « Trois ans, oui ! Tu as drôlement changé d’allure, depuis ce jour où je t’ai laissé aux bons soins de Savos Aren. C’est vrai que ça ne s’est pas amélioré, par ici. On s’en rend moins compte quand on vit ça au jour le jour, bien sûr. C’est une boutique qui ferme, une maison qui s’écroule, une famille jetée à la rue par la garde... Le mécontentement croît, que ce soit ici ou sur les quais.
- Les quais ? Que veux-tu dire ?
- C’est l’autre problème majeur de la ville, expliqua Faves, même s’il est bien moins connu. Ils les ont reclus hors des murs de la ville, du côté est. On ne peut même pas les voir en empruntant le pont sud. C’est là que bat le cœur économique de Vendeaume, et c’est aussi là que se sont installés les Argoniens, dans des conditions peut-être plus dures encore que les nôtres. Ca te surprend, n’est-ce pas ? Tout le monde entend parler du Quartier Gris, car c’est une des premières choses que remarquent les voyageurs en entrant dans la cité. Mais les quais, il n’y a que les habitants pour les connaître ; les habitants, ou les marins.
- Tu sais pourquoi je viens te voir, n’est-ce pas ?, coupa Edril.
- Je m’en doute bien, crois-moi. Avant qu’on discute, tu veux quelque chose à boire ? »
Faves se leva et alluma une lampe à huile au plafond – révélant à Edril un visage d’avantage marqué par les ans que dans les souvenirs du jeune homme. Il fouilla un coffre dans un bruit de bouteilles s’entrechoquant :
« Sujamma, mazte ? Il me reste même un peu de flin importé quand je vivais encore à Vvardenfell – ce truc coûtait une fortune, tu peux me croire.
- Je ne prendrai rien, merci, répondit Edril poliment.
- Comme tu veux, mon garçon. » Faves se rassit et versa quelques gouttes d’une petite fiole dans un verre à liqueur. Il vérifia le fond ; apparemment il n’en tirerait pas plus. « Bon, oui, je disais que je me doutais de la raison de ta venue. Savos m’a expliqué pourquoi tu partais. Et tu viens me voir parce que tu espères que je t’aiderai à trouver ta mère, c’est ça ?
- Tu as raison, soyons directs. Oui, c’est pour ça que je viens. Que sais-tu à son sujet ? Tu n’as sans doute pas sa position exacte, mais tu dois bien avoir une petite idée.
- Je ne sais pas grand-chose, dit Faves en savourant une minuscule gorgée de son breuvage. Elle est partie vers l’ouest, ça faisait partie du plan, mais le même plan impliquait aussi que personne ne soit tenu au courant de ses déplacements, moi compris. C’est une manière de se protéger elle, aussi bien que de nous protéger nous.
- Je le sais, fit Edril brusquement. Mais je compte maintenant la rejoindre, comme tu le sais. Je ne peux pas continuer à me cacher, pendant qu’elle fait route seule. Je vais la retrouver, et être son soutien.
- Edrl, mon garçon, que comptes-tu faire ? Les recherches contre elle sont toujours actives. Moi qui vis ici, j’ai tout su de la douleur du légat Brachus, et des moyens mis en œuvre pour retrouver la meurtrière de son fils. Car il s’avère que d’elle seule ils ont connaissance ; par chance, assez peu de gens étaient au courant de ton existence, de sorte que tu n’es pas vraiment recherché par la Légion.
- J’ai donc perdu trois ans à me cacher pour rien ?, demanda le jeune Dunmer avec humeur.
- Pas pour rien, non. Premièrement, nous n’avions sur le moment aucun moyen de savoir les informations exactes dont ils disposaient et qui ils rechercheraient. Ensuite, si tu avais fui avec Rayna, vous auriez pu être remarqués, et tu aurais été compromis. Enfin, ton séjour à l’Académie n’a pas été tout à fait inutile, je me trompe ? Il paraît que tu t’es révélé très doué pour la magie... et c’est un mage Telvanni qui l’a dit !
- Quelles informations ont-ils, au juste ? demanda Edril insensible aux compliments.
- Je crois, sans pouvoir l’assurer, qu’ils ont fait le lien entre la femme qui vivait seule sur les monts Velothi et la fauteuse de troubles qui combattait le Rauddreka. Rayna et ton père ont eu tous deux maille à partir avec la Légion et les autorités nordiques à une époque, et leurs noms ont certainement été fichés quelque part. Tu devrais te méfier, toi aussi. Si c’est le cas, tu devrais éviter d’employer le nom d’Arundys ; continue donc à employer ton nom d’emprunt.
- Et sinon, tu ne peux vraiment pas être plus précis concernant l’endroit où peut se trouver ma mère ?
- Je te l’ai dit, à l’ouest. C’est vague, je sais. Je dirais vers Hjaalmarche ou la Crevasse, peut-être. Ecoute, Edril, avant de tenter quoi que ce soit, je... J’aurais aimé te convaincre d’abandonner cette idée. Je sais que l’archimage n’y est pas arrivé, mais moi aussi je te mets en garde : tu n’as rien à gagner, Edril. Tu peux suivre une autre voie, il est encore temps de te raisonner. Ta mère survivra sans toi, c’est une guerrière ; et toi, tu peux rester ici, et mener ta propre vie !
- Et quoi encore ?, répliqua l’intéressé de façon cinglante. Cela me déçoit de toi, Faves. Serais-tu devenu lâche, amolli à force de mener ton existence paisible ? Ne comprends-tu même plus que certains puissent encore admettre qu’il y a des risques qui valent la peine d’être courus ? Je ne laisserai pas ma mère seule. Sur mon honneur, je jure de la protéger, jusqu’à ce que mes forces m’abandonnent et que la mort me saisisse.
- Ne crois pas que je mène une vie sans risque, répondit Faves avec peine. J’ai toujours choisi une voie différente de tes parents. Crois-tu sincèrement que je sois plus en sécurité que toi, moi qui vis au milieu de nos ennemis ? J’ai accepté de courir des risques différents, de m’intégrer à la population, pour recueillir les informations dont tes parents avaient besoin. Puis j’ai rangé mes armes, certes, mais jamais je n’ai cessé d’aider notre cause. Tu es bien jeune pour me juger, Edril, mais tes paroles me blessent. Pars, maintenant, puisque tel est ton souhait. Mais n’oublie jamais ceci : le vrai héros n’est pas toujours celui qui lève les armes et qui combat. »

***
Verus Brachus se hâtait, malgré sa fatigue et ses articulations douloureuses. Ils l’avaient trouvée ! Et il voulait la voir, pouvoir la fixer de ses propres yeux.
La petite auberge était entièrement cernée de deux rangées de légionnaires. L’étau s’était lentement resserré dès que l’information avait été confirmée, et elle était maintenant prise au piège.
Le légat, à la suite de son escorte, rentra dans l’auberge. Il adressa un signe de tête au patron, qui lui répondit nerveusement. L’homme avait été grassement récompensé ; une fois de plus, on n’avait pas regardé à la dépense. Les dix soldats d’élite montèrent l’escalier en silence, suivis avec peine par le vieux gouverneur militaire.
« Fermée, évidemment ! »
Les hommes enfoncèrent la porte fragile à coup d’épaules, mais la chambre était vide. Des cris parvinrent de l’extérieur : « Sur le toit ! Elle est sur le toit ! »
« Je vous attendais. Montez donc, si vous n’avez pas peur d’affronter une femme ! »
- Je veux la voir, ordonna Brachus. Je veux la voir avant que vous la tuiez.
- Je vous entends, légat, répondit la voix venant du toit. Dites à vos hommes de s’écarter, et je descendrai, que nous puissions nous voir face à face avant la fin.
- Entendu. Gardes, faites ce qu’elle vous dit. »

« Alors c’est toi ? »
La femme elfe était fière, fière et courageuse. Armée d’une simple épée, elle se tenait sans frémir au centre du cercle de légionnaires, défiant du regard le légat et sa garde. Le vieil homme la regardait, la meurtrière de son fils qu’ils avaient poursuivie pendant si longtemps ; mais sa vue était plus qu’il n’en pouvait supporter. Deux larmes coulèrent sur ses joues fripées ; il se retourna et dit simplement :
« Abattez-la. »
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime8/1/2012, 23:05

Chapitre 8



Faves était un lâche doublé d’un imbécile. Se prenait-il réellement pour un héros, cloîtré entre les quatre murs de sa maison, à courber l’échine devant les Nordiques ? Il n’avait été d’aucune utilité, ne sachant rien faire d’autre que dispenser des conseils dont il aurait dû avoir honte. Peste ! Que les daedra l’étouffent !
Edril fulminait. Il était seul et sans indication utile, pour espérer retrouver sa mère qui se cachait depuis plus de trois ans. Comment la chercher sans éveiller les soupçons ? Premièrement, elle n’avait dû laisser derrière elle qu’un minimum de traces ; trouver trop d’informations à son sujet aurait été inquiétant. Deuxièmement, la Légion continuait aussi de la rechercher, et il fallait à tout prix éviter d’attirer l’attention de ses éventuels informateurs, que ce soit sur sa mère ou sur lui-même. Enfin, la populace était sans doute bien peu encline à aider un inconnu, un elfe noir de surcroît.
Edril vérifia encore le contenu de son baluchon. Les deux épées étaient bien là, parfaitement inutiles dans leurs fourreaux : à menacer qui que ce soit, il risquait de se retrouver rapidement avec de très gros ennuis. Son capuchon de novice y était également rangé, puisqu’il constituait plus un signe distinctif qu’autre chose. Et enfin, il y avait la nourriture qu’il avait emportée de l’Académie avant son départ, du moins ce qu’il en restait. Malgré des restrictions drastiques, ses réserves avaient très rapidement diminué. Comment diable faisaient donc ses parents, à l’époque où ils traquaient les Dragons Rouges ? Ils avaient des soutiens, eux ; mais moi je suis seul, pensa l’elfe avec amertume.
Peut-être allait-il être réduit à chasser pour se nourrir. Sans arc, et sans savoir comment pister le gibier ? Il voyait mal comment assurer sa subsistance de cette façon, mais il préférait cette idée à celle de voler dans les cultures. Il ne se souciait pas le moins du monde de respecter le travail des fermiers ; c’était la seule idée du vol qui le répugnait. Il n’avait pas tout simplement pas été élevé de la sorte.
Il n’avait pas non plus de carte. Nchow ! Il n’en avait pas cherché à l’Académie parce qu’il pensait que Faves pourrait lui en fournir. Mais il ne lui avait pas apporté le concours espéré, et Edril se retrouvait pris au dépourvu. Il parvenait à se débrouiller, que ce soit par ses connaissances basiques de la géographie de Bordeciel ou en demandant son chemin, mais encore une fois, cela ne lui facilitait pas la tâche.

Edril soupira et s’arrêta. Il avait beaucoup marché, ces deux dernières semaines, préférant épargner ses maigres économies, et ses jambes étaient de plus en plus douloureuses. Il était las de parcourir sans relâche le pays ; assez des marais, des plaines ternes ou des montagnes escarpés. Les seuls êtres vivants qu’il lui arrivait encore de côtoyer étaient les paysans nordiques ou les gérants d’auberge, personnages frustes et odorants, peu communicatifs et souvent abrutis à l’hydromel. Mais Edril ne baissait pas les bras ; qu’aurait-il été, s’il avait abandonné à la première difficulté ? Plus que jamais, il restait farouchement décidé à tout mettre en œuvre pour retrouver sa mère.
Il était temps de reprendre la route ; et qu’importe la fatigue ?



Sans se départir, il avait interrogé chaque homme, chaque femme, chaque voyageur et chaque travailleur, chaque paysan et chaque chasseur, humain comme elfe ; mille fois il avait entendu les mêmes réponses, mille fois il s’était strictement conformé à la même politesse, quand il n’avait envie que d’une chose, leur cracher au visage. Il n’avait pas lâché ; il continuait, et il continuerait, encore et toujours.

« Bonjour, je suis de passage dans la région. Je recherche une femme de mon peuple, qui serait passée par ici il y a....
- Dame, gamin, tu crois que j’ai que ça à faire, de regarder passer les peaux-grises ? Va t’en, je travaille, moi ! Si vous autres elfes noirs faisiez de même... »

« Excusez-moi, je suis de passage ici et...
- Hors de ma propriété, l’elfe ! J’ai déjà donné pendant la Grande Guerre, je veux plus voir vos tronches d’oreilles-pointues ! »

« Bonjour, je me demandais si vous auriez vu passer au cours des derniers mois une voyageuse, une femme dunmer...
- Je suis bien désolé, mon garçon, mais j’ai pas vu d’elfes noirs dans la région depuis un sacré bout de temps. Je ne peux pas t’aider. »

« Bonjour, je cherche...
- Hé toi ! Les voisins m’ont dit qu’un type louche traînait dans les parages et posait trop de questions. Déguerpis, l’elfe, ou je vais prévenir les hommes du jarl ! »

« Bonjour ! Je cherche une voyageuse, une Dunmer, qui aurait pu passer par ici dans le courant de l’année. Est-ce que vous vous en souviendriez ?
- Ha, un petit compatriote ! Non, je dois t’avouer que ça ne me dit pas grand-chose. Connais-tu au moins son nom ?
- Je... non, je l’ignore. Ce n’est pas grave. Merci ! Et que les esprits de vos ancêtres veillent sur vous. »

« Bonjour madame. Je cherche une femme dunmer, plus âgée que moi, qui aurait voyagé dans la région il y a un ou deux ans.
- Tiens ! Bizarre, vot’ question. Y a pas un mois qu’y a des soldats qui sont venus poser la même question. Des impériaux, en uniforme et tout. A tout le voisinage, qu’ils ont demandé ! »
Par les Daedra ! Enfin une piste – il avait eu bien de la chance de tomber sur cette fermière de Rorikbourg.
« - Et vous ne sauriez pas où ils sont partis ensuite ?
- Y sont allés vers l’ouest, vers Pondragon ou Solitude, j’sais plus trop. Dites, mon p’tit monsieur, à votre place j’éviterais de m’y frotter, à ces légionnaires. Ils avaient pas l’air commode !
- Je m’en souviendrai. Merci pour tout ! »
Oui, une piste, enfin ! Pas des plus rassurantes, mais fraîche, au moins. C’était, d’une certaine façon, bon signe que la Légion poursuive ses recherches. Cela voulait au moins dire que sa mère n’avait pas encore été retrouvée. Mais cela signifiait aussi qu’elle était toujours en danger.
Il remercia la femme d’un signe de tête. Il savait maintenant vers où tourner ses recherches, et n’avait plus qu’à suivre les mouvements de soldats, plus faciles à remarquer pour la population que le passage d’une inconnue. Encore lui fallait-il se hâter – et surtout, être plus rapide qu’eux.


Edril ouvrit la porte de l’auberge avec précaution. Ses recherches l’avaient effectivement mené vers Pondragon, comme le lui avait dit la femme de Rorikbourg. Les habitants avaient récemment assisté à d’étranges mouvements de troupes dans la région. Les soldats n’avaient pas cherché à justifier leur présence, mais la rumeur courait qu’un légat avait fait le déplacement en personne depuis l’Estemarche... Verus Brachus, évidemment. Il était temps qu’Edril l’arrête. Toujours était-il que les témoignages qu’il avait récoltés l’avaient mené vers cette auberge isolée, un peu à l’écart de la route menant à Solitude. Peut-être y trouverait-il un indice du passage de sa mère, un détail insignifiant que les légionnaires n’auraient pas remarqué ou qui n’aurait pas eu de signification pour eux. Peut-être aussi l’y avaient-ils trouvée... Non, ce n’était pas envisageable ! Sa mère était bien trop rusée, bien trop aguerrie pour se laisser attraper. Edril était pleinement confiant en ses compétences. Elle avait bien officié en tant qu’agent Redoran pendant près de quarante ans sans jamais rencontrer le moindre problème. De minables Impériaux ne pourraient avoir raison d’elle.
« Bienvenue au Dragon Chantant, voyageur, l’accueillit l’aubergiste. Je vous prépare une chambre ?
- Qu’avez-vous à me proposer ? » Edril ne tenait pas à y passer la nuit, mais il avait besoin d’inspecter la chambre où aurait pu rester sa mère.
« - Trois chambres juste à l’étage. Toutes libres. C’est qu’il n’y a pas tellement de voyageurs pour s’arrêter par ici, on est pas directement sur la route, ça attire pas le monde. Vous avez de quoi payer ? Je demande toujours à l’avance pour éviter les ennuis.
- Montrez-moi d’abord vos chambres, demanda Edril avec autorité.
- Oh. Bon, comme vous voulez. »

Edril s’était penché sous le lit pour voir s’il ne restait rien, sans succès ; la commode était vide elle aussi.
« Dites donc, se vexa l’aubergiste, nos chambres sont nettoyées, quand même. On a eu personne ici depuis trois semaines, mais on a changé les draps et je viens faire la poussière tous les trois jours, au cas où on recevrait quelqu’un. »
Trois semaines... Ca concordait dangereusement. Par les Ancêtres... Ô, dieux, qu’ils ne soient lui rien arrivé ! Une bonne nouvelle, je vous en supplie...
« Dans cette chambre, c’était une Dunmer ?, fit Edril fiévreusement.
- Vous voulez dire une elfe noire ?, demanda l’homme étonné. Je sais pas comment vous avez pu deviner ça. Vous avez un... un sixième sens animal, ou quequ’chose comme ça pour vous reconnaître entre vous ? Peut-être l’odeur...
- Répondez ! C’était bien une elfe noire, n’est-ce pas ? Qui était-elle ? Où est-elle à présent ? »
Impressionné, l’homme recula.
« Je... oh, merde. Ecoutez, je, j’y suis pour rien, moi, dans cette histoire...
- Quelle histoire ? »
Edril s’était jeté sur lui, l’avait plaqué à un mur et saisi à la gorge. Ce n’était pas possible... Daedra, faites qu’il se trompe ! Faites que ça ne soit pas ce que je crois !
« E-écoutez, vous arrivez trop tard. Vot-votre compatriote, là, l’elfe, ils sont déjà venus la chercher y a longtemps... J’suis désolé j’vous dis ! »
L’homme s’était laissé glisser le long du mur et tremblait de frayeur, mais le jeune elfe le tenait toujours fermement.
« Qu’as-tu fait, chien bâtard ? Réponds ! »
Edril hurlait sa fureur et sa haine, comme si cela pouvait encore changer quelque chose. Sous la colère, sa main se mit à chauffer.
« Je vous en supplie.... » Le gérant pleurait, à présent. « Vous me... ça brûle. Ils ont dit... ils cherchaient quelqu’un, ils ont menacé tout le monde ! Ils disaient que si ils découvraient qu’on l’avait aidée, ils... ils nous tueraient, qu’ils nous tueraient nous et notre famille... ô, par les Neuf...
- Qu’as-tu fait ?, articula Edril les mâchoires serrées, les yeux flamboyant de rage.
- J’avais pas le choix... je, j’ai su que c’était d’elle dont ils parlaient, je, j’suis allé les voir, et... »
L’homme cria de douleur. La chaleur s’était intensifiée, et sa peau s’était mise à crépiter en même temps que s’élevait une ignoble odeur de chair brûlée.
« Combien ?!, cracha Edril insensible à sa détresse. Quel a été le prix de ta trahison ?
- R... rien... » L’aubergiste suffoquait, et sa voix se réduisait à un murmure guttural. « Juste... la vie... pour moi et mes enfants...
- Mais elle aussi avait un fils. »
Les yeux du pauvre homme s’écarquillèrent de terreur, il voulut hurler à pleins poumons, mais ne parvint à produire aucun son. Edril cependant relâcha sa prise, et l’homme s’effondra sur le sol, la trace d’une main noire encore fumante imprimée sur la gorge.
L’elfe tituba vers la sortie pendant que le gérant reprenait sa respiration en s’étouffant à moitié. Non, ce n’était... Daedra, non... Ce n’était... ce n’était...
Il se laissa tomber à genoux. Ce n’était... pas... possible... Non, il... Il devait y avoir un moyen...
« Ils sont déjà venus la chercher. » La sentence était irrévocable. Par les Dadedra et les Aedra, par le Tribunal et par les Neuf, pourquoi ? Mais pourquoi ?...
Tout... était... sa faute. Sa pleine, son entière, sa seule faute. Il avait manqué à son serment. Il était venu trop tard. Ô, grands dieux, non !... S’il était parti plus tôt... S’il n’avait pas perdu ce temps à l’Académie... Il n’avait pas su la protéger, il n’avait pas été là pour elle !
Edril les maudit, tous, les uns après les autres, au milieu de ses larmes brûlantes de haine. Tous, l’Empire, Bordeciel, les mages de l’Académie et cet incapable de Faves Romori. L’Empire qui la lui avait prise, les Nordiques qui la haïssait. Les mages qui avaient voulu le retenir, et pire, pire que tous, Faves, qui avait osé se prétendre l’ami de ses parents mais n’était qu’un couard.
Il conjura les Daedra, les esprits malins et tous les démons de l’Oblivion de les mener à leur perte, de leur faire payer dans le sang et la destruction. Que brûle l’Univers ! Oui, que brûle Mundus et que les Plans s’effondrent, que s’éteignent le Soleil et les étoiles, que périssent les Immortels ! Que le chaos déchire la terre, que les mers déchaînées se soulèvent ; que les Hommes endurent mille souffrances et que leurs âmes vives soient précipitées dans le Néant pour y souffrir à jamais ! – mais même dans l’anéantissement et dans la mort, la douleur ne pourra s’éteindre.
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime11/1/2012, 22:18

Chapitre 9


Edril regarda, insatisfait, la piètre construction de pierres sèches. Il n’avait pu faire mieux, certes ; mais quand même ! Sa mère méritait mieux.
Il avait disposé les pierres en cercle puis les avait couvertes de terre, élevant un tertre miniature, mais il n’avait rien à mettre à l’intérieur, ni cendres ni ossements. Il ignorait ce qu’il avait pu advenir de son corps ; il songea qu’il valait mieux ne pas le savoir. Toujours était-il que son ouvrage ne ressemblait en rien à un autel des ancêtres tel qu’il en avait entendu parler dans les livres. Avec un pincement au cœur, il se souvent de celui que sa mère avait voulu ériger pour son père, et de la façon dont il s’y était opposé, persuadé que son père vivait encore. Et il le croyait encore, d’ailleurs – mais cela ne résolvait pas le problème actuel.
Finalement, il trouva un morceau d’écorce de bouleau, large et lisse. Il sortit son couteau et y grava le nom de sa mère, Rayna Hlalec. Après réflexion, il le fit dans les deux alphabets, le daedrique et le commun. Il déposa l’écorce au fond du tumulus et le recouvrit d’une grande pierre plate. Ainsi, le souvenir au moins survivrait, même si lui venait à mourir ; il regrettait seulement de n’avoir pu graver le nom dans la pierre, mais il n’avait pas le matériel nécessaire.
Le travail achevé, il contempla à nouveau sa réalisation. Cela ne suffisait pas, non, ça ne suffisait toujours pas. Il regarda ses mains, la peau grise de ses paumes. Lui non plus ne devait pas oublier. Il devrait constamment se souvenir d’où il venait, et d’où il allait. Il ramassa un morceau de bois, le serra entre ses dents. Puis, avec précaution, il commença à tailler la chair vive de sa paume gauche. Les larmes lui vinrent aux yeux, il grogna et enfonça profondément ses dents dans le bois ; et sur sa main, il grava en runes daedriques : Hekem, la haine. Voilà d’où il venait. Puis, sa besogne accomplie, il saisit le couteau de sa main gauche ensanglantée, et dans sa paume droite, il inscrivit : Dagor, la destruction. Voilà la voie qu’il comptait suivre.
Edril cracha le bout de bois et lâcha le couteau. Il pressa ses deux mains sur la pierre faîtière, imprimant leur marque rouge. Son sang était aussi le sang de sa mère ; et sur ce sang, il jura de se tenir au chemin qu’il s’était choisi. Haine et destruction. Parce qu’il fallait que quelqu’un les fasse payer.


Les semaines avaient passé, emportant avec elles la colère et le désespoir. Edril n’était pas retourné à l’autel de sa mère. Il n’en avait pas besoin, c’était dans son cœur que son souvenir était vivant. Et au cas où sa mémoire flancherait, où il serait tenté de tout abandonner pour adopter une vie plus facile, les cicatrices de ses mains lui rappelleraient son devoir. Car le temps avait laissé intact son désir de vengeance.
Mais comment s’y prendre ? Edril avait souhaité leur mort, leur anéantissement, aux Nordiques comme aux Impériaux, mais il s’avérait incapable de trouver comment leur nuire. Il aurait pu battre la campagne, tuant quiconque se trouverait sur son chemin ; il aurait pu incendier les fermes, semer le trouble dans les villages et instaurer un règne de terreur dans les campagnes. Etait-ce pour autant le but qu’il recherchait ? Cette entreprise futile aurait été vaine. Ce n’était pas dans le sang des paysans qu’il comptait assouvir sa soif de destruction. Non, ce qu’il voulait, c’était frapper le pays en plein cœur, détruire jusqu’aux fondements même de Bordeciel, cette terre honnie. Or il en était incapable seul ; mais qui aurait pu l’aider ?
Il avait eu l’occasion d’y réfléchir longuement, durant le temps qu’il avait passé à parcourir Hjaalmarche. Il s’était retrouvé sans but, sans endroit où aller, aussi s’était-il simplement contenté de rester près du même endroit. Il se cachait à peine, d’ailleurs ; il doutait que cette vile créature d’aubergiste ait le cran de le dénoncer à quelque autorité que ce soit. L’être infâme... Quelle pitié que la faiblesse ! Faiblesse de l’homme qui avait vendu sa mère pour protéger sa propre famille ; mais surtout, faiblesse d’Edril, qui l’avait tenu entre ses mains et ne lui avait pas fait subir le sort qu’il méritait ! L’elfe y avait souvent repensé. Qu’est-ce qui avait pu retenir sa main ? La... pitié ? Non, vraiment, comment aurait-il pu concevoir de la pitié à l’égard de cet homme ? Il ne comprenait toujours pas les raisons de sa clémence ; mais il savait aussi que si cela avait été à recommencer, il aurait été à nouveau incapable de le tuer.
Faiblesse, faiblesse... Voilà quel était son problème : il était faible, et il était seul. Il avait toujours pensé mener la lutte aux côtés de sa mère, comme elle l’avait fait jadis avec son père, mais depuis sa disparition il se retrouvait désemparé. Il savait au moins à qui il ne demanderait aucune aide : à Faves ou aux mages de l’Académie. Mais à qui, alors ? A son père ? Il avait beau, au fond de lui, être persuadé que son père était encore en vie quelque part, il ne pouvait raisonnablement pas espérer la moindre aide d’un fantôme disparu depuis presque dix ans.
Alors qui ? La réponse était simple, mais l’accepter était plus difficile. Edril avait retourné le problème en tous sens pendant des jours et des jours, pour conclure finalement qu’il ne lui restait que cette dernière opportunité. Le Thalmor. Eux étaient concernés par le sort des elfes, de tous les elfes : n’était-ce pas, après tout, la signification même du Domaine Aldmeri ? Altmers et Bosmers unis en une même unité, sous une seule bannière, voilà ce que représentait le Domaine, et telles étaient les valeurs prônées par le Thalmor. Pourquoi les Dunmers resteraient-ils à l’écart ?
L’idée était engageante, certes. Mais Edril ne pouvait pas non plus oublier de qui il s’agissait vraiment. De ceux qui n’avaient prêté aucun secours à leurs frères Dunmers, lorsque le Cataclysme avait ébranlé Morrowind. De ceux qui, par la Grande Guerre, s’étaient indirectement montrés responsables d’une montée de violence envers les elfes noirs en exil. Edril avait souvent entendu ses parents et Faves en discuter, quand il n’était qu’un petit garçon ; ils s’inquiétaient de la montée en puissance d’Alinor, des velléités d’hostilité du gouvernement Thalmor. Ces Altmers étaient dangereux, il le savait, et ils méritaient sans doute la plus grande méfiance. Mais à qui d’autre Edril aurait-il pu se joindre ? Aussi peu dignes de confiance qu’ils puissent être, ils restaient des Mers, des elfes, et cela lui suffisait pour qu’ils valent à ses yeux infiniment plus que n’importe quels humains. Le choix le répugnait quelque peu, mais les circonstances l’imposaient : le Thalmor avait une influence notable sur le pays, et il se dressait à la fois contre l’Empire et contre les Nordiques. Cela lui suffisait pour l’instant.

Sa décision prise, Edril avait guetté, avec une froide détermination, avec la patience calculée de celui qui sait qu’il finira par avoir raison de ses ennemis. L’Ambassade du Thalmor était à Solitude, à moins d’un jour de sa marche de sa position, mais elle était située en plein cœur de Mornefort, la forteresse qui abritait la garnison impériale.
Officiellement, depuis le Traité de la Tour d’Or Blanc, le Thalmor se voulait en effet « ami et conseiller » de l’Empire, et c’était donc la légion de Solitude qui avait libéré des bâtiments quand les Altmers étaient venus s’installer à Bordeciel. Le problème, c’est qu’Edril pouvait difficilement rejoindre l’Ambassade s’il devait d’abord franchir des cordons de sécurité. Les légionnaires, au mieux, le jetteraient à la porte, comme le vagabond qu’il était devenu après deux mois de vie sauvage. Il aurait pu se débrouiller, certes, s’introduire d’une façon ou d’une autre dans Mornefort. Mais le plus simple, après tout, restait d’attendre le passage d’une délégation du Thalmor – chose fréquente dans la région ; puis d’accoster un Justiciar, et de le convaincre de le mener à Solitude. Et justement, le moment était venu pour Edril de saisir sa chance : la troupe vêtue de noir, juste sous ses yeux, descendait la route vers Pondragon.


Edril les avait suivis, préférant attendre qu’ils aient atteint le village pour tenter sa chance. A les accoster au beau milieu de la route, il aurait couru le risque d’être pris pour un bandit et abattu sans sommation. Mais au milieu des habitations et devant la populace, c’était différent.
Edril les regardait faire, sans encore oser intervenir. Les Altmers étaient nombreux : trois aux robes noires et capuchons au liseré d’or, accompagnés de toute une petite escouade de soldats aux armures délicatement ouvragées. L’elfe avait reconnu le travail des forgerons d’Alinor : nul autre qu’eux ne savait travailler de la sorte l’alliage de vif-argent et de pierre de lune, et le résultat était vraiment impressionnant. Sous leurs casques finement ciselés, les soldats affichaient une mine sévère ; l’un des Altmers en robe les dirigeait, les faisant fouiller l’une après l’autre chaque maison, sous l’œil craintif des habitants. De cela aussi, Edril avait entendu parler : le Thalmor tentait d’éradiquer le culte de Talos, encore tenace en Bordeciel malgré son interdiction par le Traité de l’Or Blanc quelques années plus tôt. Une clause particulièrement humiliante que le Domaine Aldmeri, en position de force, avait imposée à l’Empire, mais qu’il peinait encore à faire appliquer dans certaines provinces.
Edril n’osait pas encore agir, redoutant les conséquences si les agents du Thalmor venaient à considérer qu’il entravait leur mission. Finalement, les soldats sortirent d’une maison en traînant un homme qui se débattait furieusement, et se postèrent devant les hommes en noir. L’un d’eux agita la main, et l’homme cessa tout mouvement, seuls ses yeux continuant de bouger. Ainsi c’étaient deux mages qui accompagnaient le Justiciar, comprit Edril, et l’un deux venait d’utiliser un sort de paralysie.
Les habitants de Pondragon avaient assisté, horrifiés, à la capture du prisonnier. Celui qui dirigeait l’opération, et devait donc être le Justiciar, s’adressa à eux d’une voix forte mais froide, teintée de mépris et de condescendance :
« Conformément aux dispositions du Traité de l’Or Blanc, nous arrêtons cet homme pour culte rendu illégalement. Il a été découvert, à son domicile, un autel païen qui constitue une preuve à sa charge. Maintenant, conformément à ces mêmes dispositions du Traité, cet homme va donc être emmené pour être juger, et ses biens vont être détruits par le feu. Ne tentez pas de vous interposer, ou vos habitations subiront le même sort. »
Sans que personne les en empêche, les deux mages incendièrent le toit de chaume de la maison, qui prit feu immédiatement. Les habitants se dispersèrent lentement, conscients qu’il n’y avait plus rien à faire, et ne désirant pas voir le spectacle honteux.
Edril, lui, se moquait pertinemment du sort de l’homme, tout comme il se moquait de ces histoires de culte de Talos. Cela ne le concernait pas, voilà tout. Par contre, les Altmers étaient maintenant sur le point de quitter le village, apparemment satisfaits de leur prise, et c’était le moment ou jamais pour les accoster. Edril hésita, regarda ses mains. Il les avait bandées pour ne pas attirer l’attention, mais sous le tissu sale se trouvaient les deux cicatrices, Dagor et Hekem. Il ne pouvait les ignorer. Aussi s’avança-t’il hors du cercle clairsemé des spectateurs parmi lesquels il s’était tenu caché, et il héla les agents du Thalmor qui avaient déjà tourné les talons :
« Seigneur Justiciar ! »
L’Altmer se retourna, et posa son regard dur sur le jeune Dunmer.
« Qui es-tu, pour interrompre un émissaire du Thalmor dans sa tâche ?
- Seigneur, je voudrais que vous m’emmeniez avec vous. »
Le Justiciar s’avança à pas lents. Bon. Il avait suscité sa curiosité, c’était déjà ça. Edril se sentit scruté des pieds à la tête. Il était sale, il le savait. Il venait de passer plus d’un mois et demi à dormir dehors, et il ne devait pas avoir belle allure. Mais il soutint le regard impitoyable de l’Altmer, et ne baissa pas les yeux.
« - Qui es-tu, Dunmer ? Pour qui te prends-tu, à faire ainsi perdre le temps d’un Justiciar ? Réponds donc, si tu ne veux pas qu’on t’embarque avec l’autre.
- Je vous l’ai déjà dit, répondit Edril avec toute l’assurance dont il était capable, je veux que vous m’emmeniez avec vous. Je veux me rendre à l’Ambassade de Solitude, et je veux moi aussi servir le Thalmor. »
Les yeux de son interlocuteur s’écarquillèrent, puis l’elfe rit, d’un rire sans joie ni humour.
« - Mais nous avons là un plaisantin. Alors, impertinent, pourquoi tiens-tu donc à jouer avec ta vie ? Tu as perdu un pari, c’est ça ? Ou tu as pensé que ce serait une idée pertinente et amusante que de tenter de se jouer d’un émissaire du Thalmor, c’est bien cela ?
- Ni l’un ni l’autre, seigneur Justiciar. Ce que je demande, c’est une chance. Menez-moi à Solitude, et je vous prouverai ma détermination. »
Edril sentit la sueur perler dans son cou mais s’efforça de rester calme et sûr de lui. Les mages avaient à présent rejoint le Justiciar et les soldats s’étaient disposés en cercle autour d’eux ; les derniers badauds disparaissaient discrètement.
« - Et pour quelle raison, Dunmer, accèderais-je à ta requête ?
- Parce que ma seule ambition est de servir le Thalmor. Je veux devenir un de ses agents, pour défendre les droits et les intérêts des peuples Mers. Je n’ai que mon bras et mon épée à offrir, mais vous pouvez en disposer comme bon vous semble. »
Edril déposa son paquetage à terre. Il en sortit les deux épées, et sans les sortir de leur fourreau, il les jeta aux pieds de son interlocuteur. Puis il croisa les bras et le défia du regard, tâchant d’exprimer toute sa fierté et toute sa détermination dans l’intensité de ses prunelles de feu.
L’Altmer parut réfléchir, un long instant qui parut une éternité au jeune elfe. Pour finir, il agita la main en direction des soldats :
« - Allons, ça n’a que trop duré. Emparez-vous donc de lui. Nous allons l’emmener à l’Ambassade, puisque c’est ce qu’il désire tant. S’il nous a fait perdre notre temps, il le regrettera. »
Ce n’était pas ce qu’Edril avait espéré. Deux elfes en armure s’avancèrent et se saisirent de lui sans ménagement ; un des mages voulut s’approcher, mais le Justiciar l’interrompit :
« Passez-lui plutôt des menottes. Qu’il marche donc, ce petit malin ! »
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MessageSujet: Re: Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir   Dûn Hebris - L'Epopée du Démon Noir Icon_minitime14/1/2012, 12:17

Chapitre 10



Edril était de fort mauvaise humeur quand on était enfin venu le chercher. Dix jours passés à moisir dans les geôles de Mornefort avaient considérablement usé sa patience. Il avait eu pour seul compagnon le fidèle de Talos capturé à Pondragon, et qui avait occupé la cellule adjacente pendant les trois premiers jours – avant qu’on ne vienne le chercher, et qu’il ne revienne pas. Dix jours le Dunmer avait interpellé les gardes sans résultat ; dix nuits il avait prié les daedra de ne pas avoir été oublié.
Edril se trémoussa sur sa chaise, mal à l’aise. Ses vêtements étaient plus sales que jamais, et il avait nettement conscience de dégager une odeur répugnante. Enfin, on lui avait lié les mains derrière le dossier, de sorte qu’il était dans une position inconfortable. On ne lui avait rien dit, une fois de plus ; les gardes s’étaient contentés de l’installer dans la pièce, puis l’avaient laissé seul. Les tentures étaient noires et bordées d’or, comme dans ce qu’Edril avait pu voir du reste de l’Ambassade ; le luxueux bureau en face de lui, par contre, indiquait bien que c’était un membre éminent qui y travaillait.
Pour finir, il entendit la porte derrière lui s’ouvrir, et une femme vêtue de noir entra, seule. Elle prit place dans ce qui était manifestement son bureau, posa les deux coudes sur la table et prit immédiatement la parole :
« - Alors c’est toi, le fameux Anden Llerys qui a cru bon d’accoster un Justiciar en pleine mission. Ce petit séjour a-t’il clarifié tes idées ? C’est le moment ou jamais de reconnaître que ce n’était qu’une mauvaise plaisanterie. Fais-le et on te laissera sortir.
- Non, madame. Mon souhait reste le même : je souhaite vous rejoindre. »
La femme altmer soupira et cala son dos dans son fauteuil.
« - Alors c’est vrai. Tu comptes vraiment devenir un agent du Thalmor.
- Oui, madame.
- Nous avons vérifié le nom que tu nous as donné, sais-tu. Et nous l’avons retrouvé dans les registres de l’Académie de Fortdhiver. Tu as une explication ?
- Vous espionnez l’Académie ?, demanda Edril étonné.
- Nous préférons le terme de collaboration, répondit l’Altmer agacée. Mais ça ne répond pas à ma question. On nous a également informés que tu avais quitté l’Académie récemment, il y a un peu plus de deux mois en fait. Pourquoi ?
- Des affaires à régler. »
La femme se leva, ses yeux dorés plissés de colère.
« - A quoi joues-tu, imbécile ? Pourquoi crois-tu que nous t’accepterions parmi nous ? Tu es venu nous espionner, je présume. Qui t’envoie ? Qui a eu la sottise de penser qu’un Dunmer pourrait s’infiltrer dans le Thalmor ?
- Personne ne m’envoie, dit Edril qui commençait lui aussi à s’énerver. Je suis venu de ma propre initiative, parce que des diverses factions de ce pays de dégénérés, vous êtes celle à laquelle j’ai préféré me joindre. Je méprise les Nordiques, j’abhorre l’Empire, et j’espérais qu’auprès des elfes je trouverais mieux. Mais vous non plus, vous n’avez rien d’autre à m’offrir que votre mépris ? »
Le Dunmer fusilla son interlocutrice du regard, et celle-ci se rassit.
« - Allons. Soit. Mettons que je croie à ton histoire, Anden. Quelles raisons avons-nous de te faire confiance ? Et qu’est-ce que tu crois pouvoir nous apporter ?
- Je mets mes épées à votre service, si vos hommes les ont conservées. Comme je l’ai dit à votre Justiciar, j’ai à m’offrir, moi, et ma haine pour les animaux qui se tiennent sur deux jambes et qu’on appelle humains. Je veux œuvrer pour leur destruction, pour la chute de l’Empire et pour la ruine de Bordeciel, pour le triomphe des peuples elfiques et pour que nous récupérions ce qui nous revient de droit. Ca ne vous suffit pas ? Mettez-moi donc à l’épreuve !
- Pourquoi donc aurions-nous besoin de toi, mon pauvre enfant ? Pourquoi nous encombrerions-nous de toi ?
- Parce que j’ai du talent, répondit Edril sans se départir. Votre rapport sur l’Académie ne le mentionne donc pas ?
- Petit arrogant, siffla l’Altmer.
- Allons donc. Ne me dites pas que ça vous change du reste de vos congénères ? »
Edril savait qu’il jouait avec le feu à provoquer ainsi la femme altmer, mais elle l’avait cherché, à rester obstinément sourde à toutes ses démonstrations de bonne foi. Il vit sa bouche se pincer, puis finalement s’étirer en un mince sourire.
« - J’apprécie ceux qui ne se laissent pas faire. Mais ne me pousse pas non plus à bout. Tu parlais d’une mise à l’épreuve ? Et bien, nous allons effectivement voir ce que tu vaux. Si tu réussis, peut-être qu’avoir un Dunmer dans nos rangs pourra en effet s’avérer utile. Si tu échoues, sache qu’on ne fera rien pour te sauver la mise. Tu en es bien conscient ?
- Absolument. Je prendrai les risques qu’il faudra.
- Parfait. Je vais donner quelques consignes, qu’on t’instruise de ta tâche et qu’on te prépare une tenue appropriée. Une fois qu’on t’aura détaché, bien sûr. » La femme elfe fronça les narines. « Et je demanderai qu’on insiste sur le bain. »



Ah ! La sensation grisante du vent ! Et l’air vif d’une nuit de Soirétoile ! Les étoiles semblaient lui sourire, après la pénible captivité dans la prison de Mornefort. Et le contact retrouvé avec ses deux lames... Au moins, ces brutes avaient su les garder intactes.
Edril se sentait vraiment vivre, pour la première fois depuis qu’il avait appris la mort de sa mère – pour la première fois de son existence, peut-être ? Il était libre, il portait dans ses mains le fruit d’années de travail, et, dieux... oui, il allait enfin faire couler le sang de la race honnie.
Pour l’heure, il patientait, seul, sur une éminence rocheuse surplombant la route. Dans l’ombre, il attendait le passage de la cible qu’on lui avait désigné, qui devait emprunter cette même route avec une petite escorte durant la nuit. Il devait s’en charger, avec discrétion si possible. On ne lui avait guère donné plus de précisions. L’homme était un marchand, un riche Nordique de Solitude, en faveur auprès du jarl Istlod et apparemment connu pour ses prises de position contre le Thalmor. Contre les elfes en général, avait-on cru bon d’ajouter. Mais Edril s’en moquait. Il aurait tué n’importe qui pour ses nouveaux alliés, pour le simple sentiment de faire quelque chose qui nuisait à Bordeciel, de contribuer aussi humblement que ce soit à renforcer la présence des elfes aux dépens de celle des humains ; même devant le plus parfait innocent, il n’aurait pas eu une seconde d’hésitation.
Le ciel était dégagé. Pas un nuage ne troublait l’horizon, et les étoiles scintillaient avec éclat. Edril se surprit à les contempler. Il n’avait jamais étudié l’astronomie, il ne connaissait pas leurs noms, n’aurait pas su tracer les lignes subtiles des constellations. Pourtant, il se sentait appelé ; quelque part depuis les sommets du firmament, on murmurait son nom. Arundys... Cette nuit serait sa nuit.

L’attention d’Edril fut détournée par une lueur, loin devant lui. L’escorte s’approchait, et les torches flamboyaient dans la nuit noire comme les feux du phare de Hjaalmarche. Il retrouva sa concentration et sourit. Qu’ils s’avancent donc, les porteurs de lumière ! Bientôt, il allait les recevoir...

Edril s’était caché sous la broussaille, quand les pas cadencés de la troupe s’étaient mis à résonner sur les pavés de la route, puis quand ils avaient été assez proches pour qu’il puisse les compter : quatre et un homme à cheval. Il s’était terré dans l’ombre quand il avait pu discerner leurs vilaines faces de Nordiques, il avait retenu son souffle quand les hommes de tête étaient passés devant lui... et maintenant il était temps d’agir.
Edril resserra sa prise sur ses épées, et les deux lames s’embrasèrent de concert. Comme un serpent, il surgit de sa cachette, et fondit sur le cavalier depuis son promontoire. L’instant fut fugace, mais il n’en perdit aucun détail. De l’expression de surprise de l’homme, de la façon dont il fit se cabrer sa monture. De la richesse de ses habits, des ornements de fourrure et des bijoux d’or, des éclats éphémères qu’ils lancèrent sous la lumière des torches. De la poitrine du cavalier, percutée par les pieds joints, des deux corps emportés dans le même élan. Des épées enflammées, qui s’abattirent d’un seul mouvement, s’enfonçant dans chaque épaule et abîmant les beaux vêtements ; du cri, bientôt étouffé quand l’homme fut saisi à la gorge ; et Edril qui, avec une joie malsaine, se rattrapait de sa pitié passée envers l’aubergiste.
Le Dunmer avait serré des deux mains, et la chair, en se consumant, les laissa s’enfoncer dans le cou et la trachée. Le marchand avait cessé de crier. Edril se redressa, dégagea ses deux lames, poussa du pied le corps dans le fossé bordant la route. Les gardes du corps, eux, n’avaient même pas encore commencé à réagir. Bien, fort bien.
Le cheval hennit et prit la fuite ; les deux hommes qui marchaient en tête s’étaient à peine retournés qu’Edril était déjà sur eux, les épées sœurs se rallumant dans sa main. Lents. Ils étaient lents. Mais lui était rapide, comme sa mère l’avait été, rapide comme la colère du volcan, et tout aussi implacable.
Et d’un, et de deux. L’ivresse du combat lui donnait des ailes. Il fendait l’air, rapace monstrueux, ne laissant aucun espoir à ses proies. Les gardes du corps, engoncés dans leurs épaisses armures de cuir, n’eurent même pas l’occasion de se défendre. Déjà l’épée avait percé le futile plastron ; et dans un geste circulaire, sa sœur était venue trancher une tête. Le sang coulait le long du fil d’acier, crépitant et fumant, répandant l’odeur de la mort. Deux nouveaux corps s’effondrèrent, la tête roula sur les pavés.
Edril se retourna. Les deux derniers avaient lâché leurs torches et couraient l’arme à la main. Tout ne pouvait pas non plus être si facile. L’un porta un premier coup, que le Dunmer esquiva sans difficulté. Le deuxième leva son arme à son tour, mais fut coupé dans son élan par un violent coup de pied qui le plia en deux et le fit reculer de plus d’un mètre. Mais pendant qu’Edril se débarrassait d’un de ses adversaires, le premier garde l’avait saisi par l’arrière, et serrait sa gorge dans le creux de son bras. Le deuxième, le choc encaissé, se redressa et se rapprocha...
La folie guerrière qui avait habité Edril le quitta. Il était en danger. Peut-être même allait-il mourir. Paniqué, il en appela aux esprits de ses ancêtres, à sa mère, en une prière silencieuse ; et le visage lui revint, le visage de sa mère qui souriait malgré les larmes, étendue et agonisante. Non ! Il n’allait pas se laisser faire. Pour elle, il continuerait à se battre.
Son cœur tambourina dans sa poitrine, Dagor et Hekem déchirèrent ses mains de douleur, il sentit le sang couler dans ses paumes. Les yeux de braise du démon s’ouvrirent à nouveau, mais cette fois-ci Edril garda les siens ouverts. Il était la Mort, il était la colère de Dagoth Ur. Il n’allait pas se laisser faire !
Même sensation de brûlure, même feu dévorant qui se propageait de l’intérieur. La même ardeur qui l’avait habité qu’à l’Académie. L’œil du démon. La supplique de sa mère. Dagor. Hekem. Le feu ne se concentrait pas seulement dans ses mains, il prenait possession de tout son corps...

Ce qui avait paru durer des heures n’avait pris que quelques secondes. Le second garde n’avait pas encore eu le temps de porter un coup fatal ; il lâcha son épée et se protégea le visage de la main, dans un geste instinctif devant les flammes subites, surgies en un souffle du corps entier du Dunmer. Celui de derrière glapit.
Edril se dégagea de la prise. Le feu ardent dansait encore à la surface de sa peau, et au fond de ses yeux. Le garde qui le tenait avait été sérieusement blessé par la brusque montée de magie, et il tomba sur ses genoux. L’elfe le fit tomber à la renverse, et appuya la pointe de son épée contre sa gorge. Les flammes s’étaient apaisées, mais le métal était encore incandescent, et il siffla quand la lame pénétra les chairs.
Enfin Edril se tourna vers le dernier homme. Le feu l’avait aveuglé, et le Nordique comprit que sa fin était venue. Une dernière fois, il leva son arme, pour mourir dans l’honneur et se voir ouvrir les portes de Sovngarde ; les épées sœurs lui traversèrent l’abdomen.

Vaincu. Il avait vaincu. Edril laissa ses deux épées tomber à terre, dans un tintement métallique, et il regarda ses mains. Elles étaient rouges de sang, de son propre sang. Les runes daedriques étincelaient, au milieu du flot carmin, et la souffrance le transperçait. Edril se pencha vers un des corps, d’un geste maladroit arracha un morceau de tissu, et il s’en banda les mains ; mais la douleur ne le quitta pas, et le sang suintait à travers le textile. Sur la poussière du chemin, il traça du doigt en lettres carmin : à Rayna Hlalec. Il lui dédiait ces morts, lui qui n’avait pas su châtier les vrais coupables. Puis il effaça le nom, le réduisant à une traînée sanguinolente. Pas de témoins, pas d’indices. Il était malgré tout en mission.
Et il n’avait pas encore terminé. Il ramassa une épée, malgré le supplice de ses plaies ouvertes, et récupéra une des torches laissées allumées, puis s’engagea vers le fossé où il avait poussé le cadavre du marchand. Celui-ci le fixait encore ; ses yeux clignèrent devant la lumière. Ainsi il n’était pas encore mort, malgré ses épaules déchirées et malgré sa gorge, déchiquetée et noircie. Edril s’approcha. La carcasse de larynx se soulevait silencieusement, les yeux à la fois le suppliaient et l’interrogeaient. Il n’y avait besoin d’aucun mot pour que la question soit claire. Pourquoi ? Alors le Dunmer, tout doucement, approcha ses lèvres de son oreille, et il lui murmura :
« La haine n’a pas besoin de raisons. »
Puis il fit voler son épée.


Le soleil froid de l’aube perçait à travers les meurtrières, de faibles rayons qui ne parvenaient pas à égayer les tentures d’un noir d’ébène. Edril avançait d’un pas assuré dans les couloirs, indifférent à ceux qui chuchotaient sur son passage. Il se moquait bien des commentaires. Il avait pu passer par la grande porte, non pas comme le prisonnier qu’il avait été, mais comme un membre du Thalmor – peut-être comme le plus petit et le plus insignifiant d’entre eux, mais comme un membre à part entière. Voilà qui allait finir par leur rabattre le caquet.
Il retrouva le couloir où on l’avait conduit, menotté, la veille, et bientôt il fut devant la porte du bureau qu’il connaissait. Il entra sans frapper, tombant nez à nez avec la femme altmer déjà penchée, malgré l’heure matinale, sur une quantité impressionnante de dossiers un peu éparpillés sur la vaste surface de sa table. Sans ménagement, Edril posa son chargement au milieu des parchemins. La femme ne parut remarquer sa présence qu’à ce moment, quand le papier qu’elle étudiait fut éclaboussé de sang. Elle lança un regard courroucé au Dunmer, ouvrit le sac et en inspecta l’intérieur, puis s’en écarta vite avec dégoût :
« Je vous saurai gré, à l’avenir, dit-elle d’un ton acerbe, de ne pas ramener vos trophées de chasse sur mon bureau ! »
Edril constata avec satisfaction qu’elle avait cessé de le tutoyer, et récupéra le sac en souriant.
« Enfin bon, reprit la femme, c’est quand même bien la tête de celui que nous cherchions. Je ne vous demanderai pas si cela s’est bien passé, puisque vous êtes revenu en un seul morceau. Vous vous êtes au moins assuré qu’il n’y avait pas de témoins ?
- Pas un seul, madame.
- Comment diable avez-vous alors fait pour détacher la tête de Lorkmir de ses épaules sans que ses gardes du corps s’en aperçoivent ? Ils étaient quatre, d’après notre informateur.
- Disons alors qu’il n’y a plus de témoins, répondit Edril en souriant toujours.
- J’avais aussi demandé de la discrétion, grommela l’Altmer. Mais si vous vous en êtes sorti et pas eux... J’imagine qu’on peut dire que vous avez réussi. Je vous adresse mes félicitations, Anden Llerys. Je vous avouerai honnêtement que je ne m’y attendais pas. Peut-être bien que vous nous serez utile, tout compte fait ; au moins, si vous finissez attrapé, on ne songera pas tout de suite à se tourner vers nous. » La femme sourit, sans pour autant réussir à paraître vraiment chaleureuse. « Un Dunmer au Thalmor ! On peut dire qu’on aura tout vu... »
L’Altmer se leva et s’inclina très légèrement en avant, selon le salut d’Alinor.
« Et bien, bienvenue parmi nous, maître Llerys. »
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