Salutations machinales.
Mettons nous en situation. Vous, votre truelle. Comment ça, vous n'avez plus la truelle ? Vous l'avez balancée ? Vous pensiez bien faire ? Vous n'y êtes pour rien ? Vous promettez de ne plus jamais recommencer ? Vous ne voulez pas mourir ?
Vous vous effondrez alors en sanglots. Un hurlement déchirant se fraye un chemin hors de vos lèvres tremblotantes, emportant avec lui de lourds filets de salive. Vos genoux s'entrechoquent, vos jambes flageolantes ne supportent plus votre poids. Et puis, la salive, ça glisse. Vous mordez la poussière. Vous vous roulez en boule, tapant des poings et des pieds le pauvre sol qui ne vous a rien fait. Votre regard se fait vitreux, les sillons creusés par les larmes dans l'épais masque de poussière qui recouvre votre visage semblent être les barreaux d'une prison. Vous vous débattez, maintenu au sol par les chaînes invisibles de votre conscience. Il ne fallait pas jeter la truelle... Un mugissement effrayant fait trembler les cieux tandis que vous tirez de toutes vos forces sur les entraves impitoyables. En vain. Le désespoir vous prend, le remords devient intolérable.
C'est alors qu'un écureuil sort des fourrés et sautille dans votre direction. Arrivé à votre hauteur, il vous contemple de ses grands yeux pétillants. Tiens, il vous dit quelque chose, cet écureuil... Mais oui ! C'est votre chapeau ! Vous sautez sur vos jambes, sans même prendre conscience avec quelle indécente rapidité les instincts les plus bas et les plus vils peuvent effacer les plus nobles regrets. Vous êtes un monstre. Et l'écureuil l'a bien compris. Il ramène ses petites papattes sous son menton poilu et lève sur vous ses grands yeux larmoyants. Oh, comme il est mignon ! Quel genre de scélérat pourrait seulement envisager l'idée de s'en faire un chapeau ?
Une bourrasque glacée vous frappe de plein fouet, dissipant vos pensées. Un bruit sourd sur votre gauche attire votre attention et celle de l'écureuil. Une oreille ! Une oreille toute bleue gît contre votre botte. Vous réalisez avec horreur que cette oreille est la votre. En effet, gelée par la bourrasque, elle s'est détachée de votre tête. Et maintenant, toute la partie ouest de votre crâne est gagnée par la gangrène. Si seulement vous aviez eu un chapeau, rien de tout ceci de ne serait arrivé. Vous reniflez bruyamment.
C'est alors que l'écureuil, certainement sous l'effet de votre regard haineux, se tortille, s'élève, lévite, attend, grignote et se change en portail inter dimensionnel. Eh ben ça alors. La mâchoire décrochée, le corps affaissé vers l'avant, les yeux écarquillés de stupeur, vous franchissez le portail. Et vous voilà au 41ème millénaire !
Remerciements artificiels.