La jeune elfe referma doucement la porte derrière elle, fredonnant un air mélodieux. Elle portait une chandelle, éclairant ses pas grâce à la faible lueur de sa flamme. La chambre était sombre, toutes les bougies éteintes, et un faible courant d'air rafraichissait agréablement l'atmosphère. Ses quartiers consistaient en une vaste chambre à coucher dont la pièce centrale était un grand lit à baldaquins collé au mur. De grandes portes de verre fermaient habituellement l'accès au balcon mais était ouvertes en ce moment. Le mobilier était très varié, passant de la soie du Nippon aux meubles d'Avelorn, en passant par un établi de marbre de manufacture naine. Une table couverte de chandeliers occupait le centre de la moitié de la pièce la plus proche de l'elfe, et une bibliothèque occupait le mur opposé, à côté de l'ouverture donnant sur le balcon. Un grand fauteuil attendait juste à côté, permettant de longues et agréables journées de lecture au soleil.
La cadette des Jalessian avança prudemment, le bras tendu devant elle, comme si elle repoussait les ténèbres par ce seul geste. D'un pas rendu sur par les siècles et aidée par la bougie , elle trouva facilement son chemin dans le noir et posa le cierge sur la table puis alla fermer la porte-fenêtre du balcon, son regard se perdant un instant dans la profondeur de la nuit avant qu'elle ne tire les rideaux. Revenant sur ses pas, elle retourna près de la table et utilisa le cierge pour allumer les autres bougies, souriant au plaisir d'effectuer ce geste simple. Chaque soir, elle lisait avant de s'endormir. Une habitude qu'elle avait gardé d'une nourrice qui lui lisait des histoires de fées au moment de la border. S'emparant d'un candélabre, elle se retourna pour se diriger vers la bibliothèque et y choisir un ouvrage. Et s'arrêta net, la chanson mourant entre ses lèvres. Elle ne l'avait pas remarqué dans le noir. Le fauteuil lui faisait face, le dossier tourné vers la fenêtre. Et assis nonchalamment sur les coussins brodés, une sombre silhouette la fixait de ses yeux ardents sans esquisser le moindre geste.
"Bonsoir, mon amour." Fit une voix à la tristesse infinie et aux accents si incroyablement familiers. Une voix que la jeune elfe pensait ne plus jamais entendre. Le choc fut tel que le cri qu'elle s'apprêtait à pousser mourut dans sa gorge et que le chandelier qu'elle tenait lui échappa des mains. Il y eu comme un souffle d'air et la silhouette sombre disparue du fauteuil pour se tenir debout devant elle, le chandelier qu'il avait rattrapé dans sa chute à une vitesse sidérante éclairant faiblement son visage, repoussant les ombres qui semblaient s'accrocher à lui et atténuant l'éclat de ses prunelles, révélant un beau visage pâle à l'expression dure et résignée.
Aelia Jalessian laissa échapper une faible exclamation en reconnaissant celui qui lui faisait face, et lorsqu'elle eut enfin accepté de croire ce qu'elle voyait, le hurlement de terreur qu'elle s'apprêtait à pousser se transforma en cri de joie.
"Illi !" S'exclama t-elle en se jetant au cou du vampire qui pour le coup ne s'attendait pas à ça et tituba légèrement en arrière sous le poids de l'elfe. Malgré lui, Ilithas sentit un sourire béat lui venir alors que l'expression de façade qu'il s'était bâtit s'écroulait comme un château de cartes et qu'une chaleur qu'il n'avait pas connue depuis des siècles réanimait son cœur au point qu'il se crut sur le point de défaillir de bonheur.
"Aelia, souffla t-il en la serrant contre lui de son bras libre. Tu m'as manqué plus que tu ne le sauras jamais."
Ils restèrent longtemps ainsi enlacés. Se contentant de sentir la présence de l'autre, si proche après une si longue absence, sans s'encombrer de paroles incapables de traduire ce qu'ils ressentaient. Soupirant de bonheur, Aelia cala son menton dans le creux de l'épaule d'Ilithas, lequel enfouissait son visage dans les cheveux de l'elfe, savourant le contact chaud de son corps, la douce vibration de chacun de ses battements de cœur et l'odeur délicieuse de celle qu'il aimait plus que toute chose en ce monde. La soif de sang était plus pressante que jamais, comme elle l'avait toujours été en sa présence, mais il lui était facile de l'ignorer. De l'apprécier même, comme une autre preuve de l'identité de celle qu'il tenait dans ses bras.
Après ce qui leur parut un temps infini bien qu'encore trop court, les deux elfes rompirent leur étreinte à regret, se tenant toujours par la main, le regard plongé dans celui de l'autre. Lorsqu'il se perdit dans le bleu parsemé d'échardes de glaces de ces yeux, Ilithas se maudit intérieurement d'avoir jamais douté d'elle. Malgré son sourire, le visage d'Aeelia était inondé de larmes et le front d'Ilithas se barra d'un pli soucieux. Avec mille précautions, il effleura ses pommettes du bout des doigts pour en sécher les larmes d'une caresse du pouce.
"Tu es triste de me voir ?" Murmura t-il en replongeant son regard dans le sien.
"Des larmes de joie, sourit-elle en retour.
Ilithas lui retourna un pauvre sourire, presque désolé.
"Quand es tu rentré ? Lui demanda t-elle, comme s'il n'était jamais parti. Qu'aucun océan ne les avait jamais séparés des siècles durant.
"Aujourd'hui même. Il fallait que je te voie."
"Et pourquoi n'est tu pas venu plus tôt alors ?" Elle lui souriait, de ce sourire qui avait fait chaviré son cœur au point qu'il l'avait emporté avec lui dans son exil.
"J'ai... J'ai rencontré ton père."
"Comment ?" L'elfe s'empourpra et ses yeux lancèrent des éclairs pendant un instant. "Et moi qui croyais que c'étaient les intrigues de la cour qui l'avaient secoué ! J'aurais du me rappeler qu'il n'y avait que toi pour le mettre dans une telle rage."
"Il ne t'a pas parlé de moi ?" S'étonna Ilithas. Il pensait que le vieux Jalessian aurait pris comme première mesure d'ordonner à sa fille de ne le recevoir sous aucun prétexte. En réponse à quoi, le sourire d'Aelia s'atténua légèrement.
"Si fait. Il y a trois siècles de cela, il m'a dit que tu étais mort et que ton navire avait été perdu en haute-mer, corps et biens."
Si sa peau n'avait pas déjà la couleur du marbre, le visage d'Ilithas aurait pâlit de fureur. Pendant sa seule pensée fut que dès qu'il sortirait d'ici, il irait attraper le patriarche par la peau du cou pour le jeter du haut de son manoir afin lui apprendre les bonnes manières. Et de le rattraper plus bas. Peut être.
Aelia nota l'éclat sauvage qui dansa un instant dans le regard du vampire et lui prit son visage entre les deux mains pour le forcer à la regarder de nouveau.
"Calme toi Illi, tu sais bien qu'il fait toujours ce qu'il pense être le mieux pour moi. Et tu sais bien que tu ne peux pas lui en vouloir pour ça."
Ilithas se renfrogna, elle avait raison. Elle avait toujours raison. Soudain, la principale raison qui l'avait poussé à revenir rejaillit de son subconscient, comme une flèche surgi de nulle part venue se planter en plein cœur.
"Il m'a aussi parlé de tes..., le mot sembla vouloir rester en travers de sa gorge, ...tes fiançailles."
Aelia rougit et détourna un instant le regard, gênée.
"Père se faisait de plus en plus pressant depuis quelques temps. J'ai tenté de retarder les choses autant que possibles, mais je suis tombée peu à peu à court d'arguments..."
"Est ce que tu l'aimes ?" La voix d'Ilithas tentait de rester neutre mais les mots lui brulaient la gorge.
La jeune elfe se fit soudain plus sereine et ses yeux lui souriaient de nouveaux lorsqu'ils se posèrent de nouveau sur lui.
"Mon cœur est déjà pris. Elle leva une main entre eux deux et releva le tissu jusqu'au poignet, révélant une rune passée dans une chaine d'or des plus ordinaires. Souriant doucement, Ilithas tira une chaîne identique, pendue à son cou. Leurs doigts se mêlèrent et ils s'enlacèrent de nouveau et que leurs lèvres se rencontraient. Et à nouveau, le monde disparu. Rompant leur baiser, le souffle coupé, Aelia posa un doigt sur les lèvres du vampire.
"Tu es là maintenant, et c'est tout ce qui compte." Ils s'embrassèrent de nouveau, et leur étreinte dura cette fois plus longtemps.
Il fallut toute sa volonté au vampire pour s'écarter d'elle. Il souriait doucement.
"Ma dame, je crois bien que je vous aime." C'étaient les mots qu'il avait utilisés lors de ce premier aveu. Elle sourit.
"Moins que je ne vous aime."
Puis le vampire se rembrunit quelque peu.
"Je vais devoir partir. Le Roi m'a confié une tâche à laquelle je ne peux me dérober."
Les sourcils d'Aelia se froncèrent adorablement et elle brandit un doigt menaçant.
"Ne t'avise pas de me refaire le même coup Ilithas Alenör !" Elle l'avait toujours appelé par son nom de famille lorsqu'elle était furieuse. La voir ainsi, frêle et vulnérable mais pourtant aussi féroce qu'une lionne fit disparaître toute morosité en lui. Il prit son menton entre deux doigts et déposa un dernier baiser sur ses lèvres.
"Je reviendrais vite, je te le promet."
"Ne crois pas t'en tirer à si bon compte. Mais si tu dois partir, soit. Veille juste à ne pas réveiller père, il n'apprécierait pas, je pense."
Ilithas eut l'air vaguement gêné.
"Je lui ai promis de ne plus jamais repasser les portes de son domaine..."
"Et comment es tu arrivé là ? Te voilà parjure maintenant ?"
"Je suis passé par la fenêtre..."
Le masque de contrariété de l'elfe se fissura et elle pouffa en silence.
"Alors soit, mon vertueux amant. Vous ressortirez par la fenêtre pour protéger votre vertu déjà bien malmenée !"
Ilithas se mit à rire tout bas lui aussi et ils se dirigèrent vers les grandes fenêtres du balcon, main dans la main. Lorsqu'ils furent dehors, les étoiles brillaient haut et la lune du Chasseur les baignait de sa douce lumière et ils se firent face une dernière fois. Pour la première fois depuis qu'ils s'étaient retrouvés, un sanglot perça dans la voix d'Aelia.
"Ne t'enfuis pas encore Ili. Je ne le supporterais pas."
Il la serra contre lui, l'entourant de ses bras.
"Je reviendrai, je te le promet."
"Ili, je..."
Il y eu comme un sifflement, à peine audible. En un éclair, le vampire avait pivoté tout en gardant Aelia plaquée contre lui de façon à se retrouver entre elle et l'origine des sifflements. Une multitude de minuscules piqures touchèrent son dos exposé et transpercèrent aisément ses vêtements larges.
"Poison..." Souffla t-il avant de s'effondrer sur lui même. Aussi indemne que surprise, Aelia poussa un cri de frayeur en s'agenouillant aux côtés d'Ilithas et en le secouant comme pour le réveiller. Puis deux ombres semblèrent surgir de la nuit et atterrirent avec souplesses sur le balcon. Les assassins devaient avoir attendus dans les arbres jouxtant la propriété. Leurs yeux brillaient d'une lueur cruelle et ils portaient de grandes lames noires qui suintaient d'une substance verte malsaine. Devant cette vision, incapable de savoir si Ilithas était mort ou vif, Aelia se releva et recula précipitamment, les deux ombres suivant chacun de ses pas. Il y avait un poignard dans son bureau, peut être que...
Il est une chose d'utile à ce que le sang ne circule plus dans vos veines. Lorsqu'on y injecte du poison, celui-ci ne s'y répand pas.
Une tache de noirceur se releva en silence dans le dos des deux assassins. Ils tentèrent de se retourner en poussant un sifflement surpris mais le vampire était déjà sur eux. Il les agrippa tout deux à la gorge et les souleva comme s'ils n'étaient que des poupées de pailles. Avant même qu'ils n'aient eut l'occasion de lever leurs armes, il rompit leur cou d'un seul mouvement sec des poignets et les corps des deux elfes retombèrent en tas flasques. Sans perdre une seconde, Ilithas se détourna d'eux et revint prêt d'Aelia, l'entourant de ses bras et la poussant doucement vers l'intérieur du manoir.
"Qui était ce ?!" Cria t-elle presque, des larmes aux coins des yeux.
"Je ne sais pas." Avoua le vampire. "Mais c'est moi qu'ils visaient. Ils devaient me suivre depuis..." Un frisson d'horreur le traversa, réalisant qu'il avait mit son amour en danger. Puis il réalisa autre chose.
"Arduilanar !"
"Qui ?"
"Je dois partir ! Appelle les domestiques et réveille ton père !" lui ordonna t-il en se détournant vers le balcon.
"Mais..."
Il se retourna et lui sourit une dernière fois.
"Je reviendrai."
Puis il sauta du balcon et disparut à toute allure dans la nuit noire, priant pour ne pas arriver trop tard.
Dans sa chambre, les sourcils froncés de colère, Aelia tapait presque du pied par terre.
"Ah, c'est comme ça ?"
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J'attends vos huées